Confessions obscènes d'un mélomane tordu trop intoxiqué de mauvais arsenic pour en garder plus longtemps dans le barillet
Le moteur ronfle, l'heure
est proche d'enfourcher la machine et envoyer suffisamment de sauce
pour faire hurler les régimes. Histoire de se payer une nouvelle
virée en équilibre précaire sur ce bon vieil azerty. Une seule
précaution de sécurité, un casque sur la tête. Pour le reste,
advienne, advienne... Ouais, une séance d'écriture maison ressemble
à un ride enragé sur une moto qui chatouille les glissières et
menace de prendre feu à tout moment. Un accident arrive parfois,
alors on répare les fractures, serre les garrots, puis on remonte,
pas plus compliqué que ça.
Le casque, lui, est la
touche essentielle de la panoplie, un appareil bon marché avec assez
de décibels dedans pour frôler la combustion spontanée. Et
paradoxalement c'était un vrai problème il n'y a encore pas si
longtemps. Car si une belle brochette d'Hendrix, Nick Cave,
Portishead ou Calexico se partage les lieux, on peut trouver dans les
recoins quelques résidents moins évidents à loger sans risquer la
descente de flicaille. Le genre qui ferait muter l'hémoglobine d'un
journaliste des Inrocks en mélasse pleine d'anthrax. Et putain j'ai
lu assez de kilomètres d'Inrocks, de Technikart, sans parler de
toute la presse rock qui pouvait me tomber sous la main, pour m'être
un jour convaincu de mourir lentement en d'infernales douleurs
rétrosternales dues à l'insuffisance respiratoire si je persistais
à m'enfiler certaines cames douteuses.
Bien sûr, ce sentiment
était dicté par le seul besoin de cacher d'immenses lacunes
intellectuelles au moyen de références qui ne se contentent pas de
clouer le bec mais l'enfoncent dans la trachée du piaf. A mesure que
m'était infligée la honte d'avoir ne serait-ce qu'une seconde avoir
pris mon pied avec l'indéfendable, j'amassais toute une artillerie
de trucs qu'il faut, des CD surchargés des bons tampons, avec la
sensation de franchir le dernier péage avant l'éden. J'ai dépensé
pas mal d'aide sociale pour faire en sorte de ne pas me faire
refouler une fois arrivé devant l'entrée. Ainsi j'ai pu devenir la
caricature snobinarde et hautaine du fin gourmet qui distribue du
dédain à volonté et vomit à la seule évocation du groupe Toto.
Sauf que ça n'a rien changé au tableau, je suis resté et resterai
probablement le petit trouduc assez complexé par ses carences
neuronales pour s'échiner à paraître plus malin qu'il ne l'est. Et
si j'ai effectivement découvert Nick Cave au hasard d'une compil
Inrockuptibles, je serais peut-être passé à côté d'Hendrix sans
le guitariste de Toto... T'as bien entendu.
Que ce soit clair, ce
billet va sonner comme le coming-out laborieux d'un type trop vieux
pour se donner des airs. J'en ai ma claque des prises de tête, des
considérations alambiquées sur ce qui fait ou non la musique
acceptable. J'aime le rock, dans le sens état d'esprit du terme, je
le transpire à gouttes épaisses, et le rock, pour moi, ce n'est
rien d'autre que savoir s'éclater en envoyant se faire foutre tout
ce qui peut gâcher le trip. Un truc de polisson écervelé bon pour
la pension. Car quand le rock cesse de s'en prendre à l'instinct, il
devient aussi baisable qu'une pétasse férue de citations de Paulo
Coelho. Je ne saurai peut-être jamais placer « electro-pop »
dans une conversation mais mon cœur n'en a pas fini de prendre du
bon temps. C'est le rock, à fond quel que soit le point cardinal ou
le côté de la pièce, sans demi-mesure qui tienne. Et quand viendra
le générique de fin, il sera bien temps de se pencher sur le revers
de la médaille.
En 1995, la dance déferle
sur l'Europe et sachez-le, je n'ai raté aucun des premiers Dance
Machine sur M6. Ace of Base ou Dr Alban, ça devrait certes vous dire
quelque chose, Fun Factory ou Magic Affair, c'est déjà moins sûr.
Eh bien moi si, sur le bout des doigts, à tel point que ça a du mal
à partir encore aujourd'hui. Si vous aviez besoin d'un mal barré
dans la vie, j'étais votre homme. C'est alors qu'une sacrée chienne
de providence m'a remis sur le chemin du rock. La providence, elle
avait choisi le seul nom qui ne peut en aucun cas le faire :
Toto. Peu importe, j'ai été jusqu'à hurler comme une groupie trop
pleine d'œstrogène à leurs concerts, je connaissais les albums par
cœur jusqu'à la moindre bribe de riff, et j'ai vite compris qu'une
bande de zikos savaient bien mieux dresser le membre qu'une boite à
rythme coincée sur 160 bpm. J'ai même commencé à jouer de la
musique, car Toto ou pas Toto, ça donnait envie d'y foutre les
doigts, cette connerie. Ça, c'était bien sûr avant de me mettre à
lire la presse musicale...
Avec le recul, j'ai
l'impression d'avoir eu affaire à une bande de témoins de Jéhovah
fringués chez Gap, à une différence près : c'est moi qui
suis allé sonner à leur porte. J'avais besoin d'initiation, d'un
bon trousseau de clés, quelques certificats de bonne conduite, et
pas besoin de dérouler la liste. Si je me souviens bien, au moment
des faits le rock se résume pour moi à la trilogie
Toto-Van Halen-Dire Straits. Tout faux. Tout à refaire,
assied-toi et oublie jusqu'à l'idée de moufter. Une seule règle :
si ça passe à la radio c'est zéro. Mais c'était (et c'est encore)
si putain de bandant de les lire que j'ai tout avalé en prenant bien
soin de lécher l'assiette, avec du Paic citron à même la langue,
et un merci en prime.
J'en remets une couche,
j'étais vraiment persuadé de m'offrir un aller-simple en business
class sur Hype Airlines. Comme si mon destin cherchait à se
convaincre qu'il n'était pas calibré pour moisir dans l'Hérault,
entre des bals de campagne et de la makina à fond dans les bagnoles
tunées qui passaient sous mes fenêtres. Alors j'écoutais ce qu'on
me conseillait d'écouter, avec au mieux une demi-molle dans les bons
jours. Par chance, ma batterie de gènes de cancre me poussait
souvent à dénicher la musique qui me plaisait au lieu de potasser
mes leçons. Une seule règle : un frisson c'est tout bon.
J'éteignais toutes les lumières pour qu'on ne puisse pas retrouver
ma trace, et je devenais un cirque lubrique à moi tout seul, avec
les râles et tout l'attirail.
Et si j'ai à la longue
accumulé toute une collection de grands crus millésimés au fer
rouge, des Stones aux Doors, en passant par Neil Young, Dylan, Patti
Smith, Jeff Buckley ou Elvis, si j'ai découvert le blues, les
gratteux folk, tout un tas de hippies à oualpé et une sacrée
multitude de paysages rock, de l'and roll au metal, j'ai aussi plongé
vers une partie moins montrable de l'iceberg... Tellement peu
montrable qu'on l'a enfermée à double tour en Scandinavie. Mais
comme une nuit qui dure des mois ressemblerait plutôt à ma
conception du paradis, j'ai pris un billet.
En tant qu'amoureux des
femmes et du heavy metal, je ne pouvais qu'aller m'encanailler comme
un porc sur une planète où les plus de seize ans n'ont rien à
faire là, le metal symphonique. Un soir, je tombe sur une nana avec
une voix lyrique genre vieille diva portée sur le Ravel, mais avec
un groupe de metal derrière elle et des mélodies plus proches de
Disney que du tout venant démoniaque habituel. Ça ne ressemblait à
rien et ça nous faisait donc un point commun, d'emblée. La chanson
était Wishmaster, de Nightwish. Et en l'occurrence un virus inoculé
sans ménagement, riveté à même l'os.
Plus de critique rock qui
vaille, ces belles au bois dormant qui chantaient des trucs sur les
elfes au milieu d'une bande de vikings peu commodes, c'était comme
une transfusion permanente d'héroïne à même la carotide, tout
semblant de raison coupé à la source et des nuits entières à
bouffer du gothique pour fillettes jusqu'à m'en faire péter les
cernes. Il y a bien eu des séances de désintox mais la volonté ne
bande pas longtemps les muscles devant un estomac qui n'a rien vu
passer depuis des semaines. J'ai creusé assez profond pour me payer
un poids sur la conscience, si trois gosses jouaient du metal
symphonique dans leur village du Vaucluse, je finissais tôt ou tard
par mettre la main dessus. J'ai fait tout mon possible pour en avoir
honte, croyez-le, mais finalement j'aurais pu tomber sur bien pire
comme dark side et il est temps de lui donner un coin de grand jour.
De Toto au metal
symphonique, en passant par Abba, Natalie Merchant ou les pires
daubes eighties, la liste des erreurs de casting prend de la place
dans ma pile de CD, mais elles me réchauffent quand j'en ai besoin
alors pourquoi ne pas se mettre à assumer le bordel ? Pourquoi
ne pas laisser les docteurs ès se branler le lobe entre eux et aller
quant à moi là où ça grouille d'orgies ? Vais-je encore
longtemps hésiter à écrire des articles sur ce qu'il ne faut
surtout pas dire, à poster des clips de Sirenia sur Facebook par
peur de perdre l'éventuelle estime de je ne sais pas qui ? On
ne pourrait pas juste retirer le masque quelques secondes et être
vraiment sincère, pour une fois, dans ce putain de siècle de
consultants en communication ? Je m'appelle Thierry Alves, je
suis assez dingue du groupe Sirenia et de leurs refrains jactés en
latin pour avoir choisi la chanson Euphoria comme récompense
rituelle après un billet trippant. Qu'on m'inflige une peine si ça
chante quelqu'un, de toute façon il paraît qu'on bande, au bout
d'une potence...
That's all fucking folks...
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