9.5.13

DECHARGES DE POISON EN PLEINE CLEF DE SOL

Confessions obscènes d'un mélomane tordu trop intoxiqué de mauvais arsenic pour en garder plus longtemps dans le barillet


Le moteur ronfle, l'heure est proche d'enfourcher la machine et envoyer suffisamment de sauce pour faire hurler les régimes. Histoire de se payer une nouvelle virée en équilibre précaire sur ce bon vieil azerty. Une seule précaution de sécurité, un casque sur la tête. Pour le reste, advienne, advienne... Ouais, une séance d'écriture maison ressemble à un ride enragé sur une moto qui chatouille les glissières et menace de prendre feu à tout moment. Un accident arrive parfois, alors on répare les fractures, serre les garrots, puis on remonte, pas plus compliqué que ça.

Le casque, lui, est la touche essentielle de la panoplie, un appareil bon marché avec assez de décibels dedans pour frôler la combustion spontanée. Et paradoxalement c'était un vrai problème il n'y a encore pas si longtemps. Car si une belle brochette d'Hendrix, Nick Cave, Portishead ou Calexico se partage les lieux, on peut trouver dans les recoins quelques résidents moins évidents à loger sans risquer la descente de flicaille. Le genre qui ferait muter l'hémoglobine d'un journaliste des Inrocks en mélasse pleine d'anthrax. Et putain j'ai lu assez de kilomètres d'Inrocks, de Technikart, sans parler de toute la presse rock qui pouvait me tomber sous la main, pour m'être un jour convaincu de mourir lentement en d'infernales douleurs rétrosternales dues à l'insuffisance respiratoire si je persistais à m'enfiler certaines cames douteuses.

Bien sûr, ce sentiment était dicté par le seul besoin de cacher d'immenses lacunes intellectuelles au moyen de références qui ne se contentent pas de clouer le bec mais l'enfoncent dans la trachée du piaf. A mesure que m'était infligée la honte d'avoir ne serait-ce qu'une seconde avoir pris mon pied avec l'indéfendable, j'amassais toute une artillerie de trucs qu'il faut, des CD surchargés des bons tampons, avec la sensation de franchir le dernier péage avant l'éden. J'ai dépensé pas mal d'aide sociale pour faire en sorte de ne pas me faire refouler une fois arrivé devant l'entrée. Ainsi j'ai pu devenir la caricature snobinarde et hautaine du fin gourmet qui distribue du dédain à volonté et vomit à la seule évocation du groupe Toto. Sauf que ça n'a rien changé au tableau, je suis resté et resterai probablement le petit trouduc assez complexé par ses carences neuronales pour s'échiner à paraître plus malin qu'il ne l'est. Et si j'ai effectivement découvert Nick Cave au hasard d'une compil Inrockuptibles, je serais peut-être passé à côté d'Hendrix sans le guitariste de Toto... T'as bien entendu.

Que ce soit clair, ce billet va sonner comme le coming-out laborieux d'un type trop vieux pour se donner des airs. J'en ai ma claque des prises de tête, des considérations alambiquées sur ce qui fait ou non la musique acceptable. J'aime le rock, dans le sens état d'esprit du terme, je le transpire à gouttes épaisses, et le rock, pour moi, ce n'est rien d'autre que savoir s'éclater en envoyant se faire foutre tout ce qui peut gâcher le trip. Un truc de polisson écervelé bon pour la pension. Car quand le rock cesse de s'en prendre à l'instinct, il devient aussi baisable qu'une pétasse férue de citations de Paulo Coelho. Je ne saurai peut-être jamais placer « electro-pop » dans une conversation mais mon cœur n'en a pas fini de prendre du bon temps. C'est le rock, à fond quel que soit le point cardinal ou le côté de la pièce, sans demi-mesure qui tienne. Et quand viendra le générique de fin, il sera bien temps de se pencher sur le revers de la médaille.

En 1995, la dance déferle sur l'Europe et sachez-le, je n'ai raté aucun des premiers Dance Machine sur M6. Ace of Base ou Dr Alban, ça devrait certes vous dire quelque chose, Fun Factory ou Magic Affair, c'est déjà moins sûr. Eh bien moi si, sur le bout des doigts, à tel point que ça a du mal à partir encore aujourd'hui. Si vous aviez besoin d'un mal barré dans la vie, j'étais votre homme. C'est alors qu'une sacrée chienne de providence m'a remis sur le chemin du rock. La providence, elle avait choisi le seul nom qui ne peut en aucun cas le faire : Toto. Peu importe, j'ai été jusqu'à hurler comme une groupie trop pleine d'œstrogène à leurs concerts, je connaissais les albums par cœur jusqu'à la moindre bribe de riff, et j'ai vite compris qu'une bande de zikos savaient bien mieux dresser le membre qu'une boite à rythme coincée sur 160 bpm. J'ai même commencé à jouer de la musique, car Toto ou pas Toto, ça donnait envie d'y foutre les doigts, cette connerie. Ça, c'était bien sûr avant de me mettre à lire la presse musicale...



Avec le recul, j'ai l'impression d'avoir eu affaire à une bande de témoins de Jéhovah fringués chez Gap, à une différence près : c'est moi qui suis allé sonner à leur porte. J'avais besoin d'initiation, d'un bon trousseau de clés, quelques certificats de bonne conduite, et pas besoin de dérouler la liste. Si je me souviens bien, au moment des faits le rock se résume pour moi à la trilogie Toto-Van Halen-Dire Straits. Tout faux. Tout à refaire, assied-toi et oublie jusqu'à l'idée de moufter. Une seule règle : si ça passe à la radio c'est zéro. Mais c'était (et c'est encore) si putain de bandant de les lire que j'ai tout avalé en prenant bien soin de lécher l'assiette, avec du Paic citron à même la langue, et un merci en prime.

J'en remets une couche, j'étais vraiment persuadé de m'offrir un aller-simple en business class sur Hype Airlines. Comme si mon destin cherchait à se convaincre qu'il n'était pas calibré pour moisir dans l'Hérault, entre des bals de campagne et de la makina à fond dans les bagnoles tunées qui passaient sous mes fenêtres. Alors j'écoutais ce qu'on me conseillait d'écouter, avec au mieux une demi-molle dans les bons jours. Par chance, ma batterie de gènes de cancre me poussait souvent à dénicher la musique qui me plaisait au lieu de potasser mes leçons. Une seule règle : un frisson c'est tout bon. J'éteignais toutes les lumières pour qu'on ne puisse pas retrouver ma trace, et je devenais un cirque lubrique à moi tout seul, avec les râles et tout l'attirail.

Et si j'ai à la longue accumulé toute une collection de grands crus millésimés au fer rouge, des Stones aux Doors, en passant par Neil Young, Dylan, Patti Smith, Jeff Buckley ou Elvis, si j'ai découvert le blues, les gratteux folk, tout un tas de hippies à oualpé et une sacrée multitude de paysages rock, de l'and roll au metal, j'ai aussi plongé vers une partie moins montrable de l'iceberg... Tellement peu montrable qu'on l'a enfermée à double tour en Scandinavie. Mais comme une nuit qui dure des mois ressemblerait plutôt à ma conception du paradis, j'ai pris un billet.

En tant qu'amoureux des femmes et du heavy metal, je ne pouvais qu'aller m'encanailler comme un porc sur une planète où les plus de seize ans n'ont rien à faire là, le metal symphonique. Un soir, je tombe sur une nana avec une voix lyrique genre vieille diva portée sur le Ravel, mais avec un groupe de metal derrière elle et des mélodies plus proches de Disney que du tout venant démoniaque habituel. Ça ne ressemblait à rien et ça nous faisait donc un point commun, d'emblée. La chanson était Wishmaster, de Nightwish. Et en l'occurrence un virus inoculé sans ménagement, riveté à même l'os.



Plus de critique rock qui vaille, ces belles au bois dormant qui chantaient des trucs sur les elfes au milieu d'une bande de vikings peu commodes, c'était comme une transfusion permanente d'héroïne à même la carotide, tout semblant de raison coupé à la source et des nuits entières à bouffer du gothique pour fillettes jusqu'à m'en faire péter les cernes. Il y a bien eu des séances de désintox mais la volonté ne bande pas longtemps les muscles devant un estomac qui n'a rien vu passer depuis des semaines. J'ai creusé assez profond pour me payer un poids sur la conscience, si trois gosses jouaient du metal symphonique dans leur village du Vaucluse, je finissais tôt ou tard par mettre la main dessus. J'ai fait tout mon possible pour en avoir honte, croyez-le, mais finalement j'aurais pu tomber sur bien pire comme dark side et il est temps de lui donner un coin de grand jour.

De Toto au metal symphonique, en passant par Abba, Natalie Merchant ou les pires daubes eighties, la liste des erreurs de casting prend de la place dans ma pile de CD, mais elles me réchauffent quand j'en ai besoin alors pourquoi ne pas se mettre à assumer le bordel ? Pourquoi ne pas laisser les docteurs ès se branler le lobe entre eux et aller quant à moi là où ça grouille d'orgies ? Vais-je encore longtemps hésiter à écrire des articles sur ce qu'il ne faut surtout pas dire, à poster des clips de Sirenia sur Facebook par peur de perdre l'éventuelle estime de je ne sais pas qui ? On ne pourrait pas juste retirer le masque quelques secondes et être vraiment sincère, pour une fois, dans ce putain de siècle de consultants en communication ? Je m'appelle Thierry Alves, je suis assez dingue du groupe Sirenia et de leurs refrains jactés en latin pour avoir choisi la chanson Euphoria comme récompense rituelle après un billet trippant. Qu'on m'inflige une peine si ça chante quelqu'un, de toute façon il paraît qu'on bande, au bout d'une potence...



That's all fucking folks...

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