1.12.13

SUR LA ROUTE DU REVE AMERICAIN #3

I want to be a part of it - New York, New York
Day 0


New York... La grosse pomme qu'ils disent... Que je sois changé en vieille star rabougrie de Broadway momifiée dans sa propre laque si j'ai vu quelque chose qui ressemble de près ou de loin à un fruit et légume dans ce bled. Peut-être aussi parce que mon instinct se met à clignoter en rouge quand j'approche à moins de deux kilomètres d'un étal de courgettes, c'est vrai... Mais si on se débrouille pour éviter les quartiers à commerce équitable remplis d'alter à sandalettes, cette ville est un eldorado quiché à l'est pour friands de mauvais cholestérol, un ramassis de calories si mastardes que j'ai dû prendre cinq kilos en me contentant de respirer les paquets d'atmosphère graisseuse autour de la 7ème avenue.

J'ai aussi pris quelques bonnes rougeurs sur les joues avec toutes les claques reçues là-bas. Si on peut vite se sentir minuscule, étranger ou complètement clodo dans les grandes villes, New York fait figure de truc à part, c'est une machine à grandiloquence si bien huilée qu'elle a besoin de votre présence pour faire tourner le merdier. Elle a besoin de sucer votre énergie jusqu'à ce qu'il n'en reste plus assez pour avoir la force d'avoir sommeil. Elle vous trouve une place dans le tableau avec crédit illimité pour tout un tas de cirques agités, bruyants, goinfrés de frénésie en technicolor hystérique.

D'entrée de jeu, l'arrivée à Manhattan en provenance de l'aéroport JFK met les points sur toute une chiée de i : les échangeurs bordéliques défilent sur la Long Island Express quand soudain sort de terre une skyline si impeccablement dessinée qu'on se demande quel est l'enfoiré qui nous a inoculé un fond d'écran I Love New York à même l'iris. Et à ce moment là on se se maudit d'avoir choisi de pénétrer l'endroit en plein samedi après-midi, tout en se persuadant que le trip va très vite tourner à la claustro sévère. Mais une fois lâché dans le truc on regarde deux trois fois en l'air, le temps de comprendre qu'on est entouré d'étages de bureaux empilés les uns sur les autres là où il y a de la place, puis on passe à autre chose qui s'avère vite bien plus vertigineux qu'une tripotée d'Empire State Buildings...

Ça a commencé dès le hall du Pennsylvania Hotel, et par hall il faut bien évidemment comprendre trois réceptionnistes à la chemise impeccable face à trois mille étrangers moites et débraillés bien décidés à ne pas faire traîner la corvée du check-in. En entrant là-dedans par un accès secondaire sur la 33ème, j'ai entendu distinctement le brouhaha me dire « bienvenue à New York c'est loin d'être fini »... Plus tard, après avoir bravé un gardien d'ascenseur endormi qui n'a même pas daigné faire semblant de se poser la question de ma présence, après avoir déposé un bon quintal de bagages dans la minuscule chambre 1082 au dixième étage, après m'être émerveillé deux secondes de l'ambiance années 30 de l'hôtel, mon corps a commencé à m'envoyer des signaux très très étranges. J'avais dormi 90 minutes la nuit précédente, avant de m'enfiler assez d'heures de transports en commun pour devenir une encyclopédie de la phlébite, y avait un lit confortable dans la piaule, et j'avais 37 ans qui pesaient lourd sur le nerf sciatique. Alors pourquoi cette pulsion qui me dictait de descendre m'enfiler une bonne dose de Times Square un samedi à 17 heures ?

A New York, le spectacle est en bas et on fait soi-même partie de la distribution. A peine franchie la porte tambour de trois tonnes, la vision est surprenante : une file ininterrompue de taxis jaunes devant l'entrée principale de l'hôtel sur la 7ème avenue, dégueulant des grappes et des grappes de touristes qui étaient peut-être le matin même à Buenos Aires ou Helsinki. En face, Penn Station avale et recrache chaque seconde l'équivalent du métro parisien à la sortie des bureaux. On m'avait dit que New York était « la ville qui ne dort jamais », ce n'était pas tout à fait le cas, à première vue ça ressemblait plutôt à « la ville qui a pété son bouton pause ».

Une fois sur le trottoir de l'hôtel, il suffit de se frayer un chemin parmi tout un foutoir de valises puis remonter la 7ème sur un demi-mile pour se retrouver en plein Times Square. Ça prend dix minutes à pied, à tout casser. Mais ces dix minutes à cet endroit-là représentent un tour du monde avec tous les visas possibles en règle. Des fleuves indisciplinés multicolores qui déchargent de la chair en tong venue des cinq continents, un merdier de grande ampleur sur des kilomètres d'avenues et de couleurs braillardes qui ferait passer un samedi après-midi à Ikea pour une croisière pépère sur l'Atlantique d'avant Christophe Colomb. Et on se rend très vite compte qu'on se trouve au cœur de la seule ville au monde où chaque touriste fait en même temps partie de l'attraction. On croise le monde entier en essayant de reconnaître les langues, et on se surprend à parler français un peu plus fort que d'habitude pour ajouter sa touche à la palette.


J'ai juste pris un brin de température ce soir-là, avant que la fatigue et un fond de jet-lag me ramènent à l'hôtel. Sur le chemin du retour, j'avais comme l'impression de marcher dans un film de la Goldwin. Un Sinatra boiteux dans une version pleins phares et sirènes du rêve américain, avec ses bagnoles agglutinées aux feux rouges, ses trucks-food, ses odeurs de hot-dogs, ses New York Times à quelques poignées de cents... Et ce petit truc en plus qu'on ne voit pas sur grand écran, la force centrifuge.

à suivre...