I want to be a part of it - New York, New York
Day 0
New York... La grosse
pomme qu'ils disent... Que je sois changé en vieille star rabougrie
de Broadway momifiée dans sa propre laque si j'ai vu quelque chose
qui ressemble de près ou de loin à un fruit et légume dans ce
bled. Peut-être aussi parce que mon instinct se met à clignoter en
rouge quand j'approche à moins de deux kilomètres d'un étal de
courgettes, c'est vrai... Mais si on se débrouille pour éviter les
quartiers à commerce équitable remplis d'alter à sandalettes,
cette ville est un eldorado quiché à l'est pour friands de mauvais
cholestérol, un ramassis de calories si mastardes que j'ai dû
prendre cinq kilos en me contentant de respirer les paquets
d'atmosphère graisseuse autour de la 7ème avenue.
J'ai aussi pris quelques
bonnes rougeurs sur les joues avec toutes les claques reçues là-bas.
Si on peut vite se sentir minuscule, étranger ou complètement clodo
dans les grandes villes, New York fait figure de truc à part, c'est
une machine à grandiloquence si bien huilée qu'elle a besoin de
votre présence pour faire tourner le merdier. Elle a besoin de sucer
votre énergie jusqu'à ce qu'il n'en reste plus assez pour avoir la
force d'avoir sommeil. Elle vous trouve une place dans le tableau
avec crédit illimité pour tout un tas de cirques agités, bruyants,
goinfrés de frénésie en technicolor hystérique.
D'entrée de jeu,
l'arrivée à Manhattan en provenance de l'aéroport JFK met les
points sur toute une chiée de i : les échangeurs bordéliques
défilent sur la Long Island Express quand soudain sort de terre une
skyline si impeccablement dessinée qu'on se demande quel est
l'enfoiré qui nous a inoculé un fond d'écran I Love New York
à même l'iris. Et à ce moment là on se se maudit d'avoir choisi
de pénétrer l'endroit en plein samedi après-midi, tout en se
persuadant que le trip va très vite tourner à la claustro sévère.
Mais une fois lâché dans le truc on regarde deux trois fois en
l'air, le temps de comprendre qu'on est entouré d'étages de bureaux
empilés les uns sur les autres là où il y a de la place, puis on
passe à autre chose qui s'avère vite bien plus vertigineux qu'une
tripotée d'Empire State Buildings...
Ça a commencé dès le
hall du Pennsylvania Hotel, et par hall il faut bien évidemment
comprendre trois réceptionnistes à la chemise impeccable face à
trois mille étrangers moites et débraillés bien décidés à ne
pas faire traîner la corvée du check-in. En entrant là-dedans par
un accès secondaire sur la 33ème, j'ai entendu distinctement le
brouhaha me dire « bienvenue à New York c'est loin d'être
fini »... Plus tard, après avoir bravé un gardien
d'ascenseur endormi qui n'a même pas daigné faire semblant de se
poser la question de ma présence, après avoir déposé un bon
quintal de bagages dans la minuscule chambre 1082 au dixième étage,
après m'être émerveillé deux secondes de l'ambiance années 30
de l'hôtel, mon corps a commencé à m'envoyer des signaux très
très étranges. J'avais dormi 90 minutes la nuit précédente,
avant de m'enfiler assez d'heures de transports en commun pour
devenir une encyclopédie de la phlébite, y avait un lit confortable
dans la piaule, et j'avais 37 ans qui pesaient lourd sur le nerf
sciatique. Alors pourquoi cette pulsion qui me dictait de descendre
m'enfiler une bonne dose de Times Square un samedi à 17 heures ?
A New York, le spectacle
est en bas et on fait soi-même partie de la distribution. A peine
franchie la porte tambour de trois tonnes, la vision est
surprenante : une file ininterrompue de taxis jaunes devant
l'entrée principale de l'hôtel sur la 7ème avenue, dégueulant des
grappes et des grappes de touristes qui étaient peut-être le matin
même à Buenos Aires ou Helsinki. En face, Penn Station avale et
recrache chaque seconde l'équivalent du métro parisien à la sortie
des bureaux. On m'avait dit que New York était « la ville qui
ne dort jamais », ce n'était pas tout à fait le cas, à
première vue ça ressemblait plutôt à « la ville qui a pété
son bouton pause ».
Une fois sur le trottoir
de l'hôtel, il suffit de se frayer un chemin parmi tout un foutoir
de valises puis remonter la 7ème sur un demi-mile pour se retrouver
en plein Times Square. Ça prend dix minutes à pied, à tout casser.
Mais ces dix minutes à cet endroit-là représentent un tour du
monde avec tous les visas possibles en règle. Des fleuves
indisciplinés multicolores qui déchargent de la chair en tong venue
des cinq continents, un merdier de grande ampleur sur des kilomètres
d'avenues et de couleurs braillardes qui ferait passer un samedi
après-midi à Ikea pour une croisière pépère sur l'Atlantique
d'avant Christophe Colomb. Et on se rend très vite compte qu'on se
trouve au cœur de la seule ville au monde où chaque touriste fait
en même temps partie de l'attraction. On croise le monde entier en
essayant de reconnaître les langues, et on se surprend à parler
français un peu plus fort que d'habitude pour ajouter sa touche à
la palette.
J'ai juste pris un brin
de température ce soir-là, avant que la fatigue et un fond de
jet-lag me ramènent à l'hôtel. Sur le chemin du retour, j'avais
comme l'impression de marcher dans un film de la Goldwin. Un Sinatra
boiteux dans une version pleins phares et sirènes du rêve
américain, avec ses bagnoles agglutinées aux feux rouges, ses
trucks-food, ses odeurs de hot-dogs, ses New York Times à
quelques poignées de cents... Et ce petit truc en plus qu'on ne voit
pas sur grand écran, la force centrifuge.
à suivre...