27.11.12

ROCK AROUND THE MYTHO

Les fines gâchettes ont du mal à rater la cible & les trop tendres s'acoquinent avec des princesses...


Il y en a des piles éparpillées dans toute la baraque, assez pour constituer un chapelet en kevlar de motifs de divorce. Et me prier de faire un peu de rangement reviendrait à demander à Jérémy Toulalan de gagner le Ballon d'Or, je voudrais bien mais mon gène du ménage flirte avec la zone de relégation en CFA2... Y en a partout, des années de presse musicale entassées comme on peut dans les recoins ou planquées sous les tapis. De Rolling Stone aux Inrocks en passant par Rock and Folk, des magazines froissés, cornés, lus et relus jusqu'à la dernière critique de vieux vinyle réédité, un bain bouillant d'électricité plein de tout ce qui a pu se tramer dans tous les studios de la planète.

Parmi ces pages, régulièrement, des interviews de grands noms de la gamme ou d'obscurs nouveau-nés abandonnés encore gluants sur le bord de la route pop-rock. Un panier grouillant de héros du décibel élargi à la gonflette, de songwriters avec une anecdote à raconter sur chaque jour de leur existence, de vieux chanteurs de groupes mythiques qui déblatèrent ivres morts sur des conneries en les faisant sonner comme si c'était des extraits de la Bible, et j'en passe. Et quelque part dans la discussion, chacun a droit à la question « quel est le premier disque que vous avez acheté ? » et c'est toujours extrêmement intéressant de voir à quel point les génies ont du génie très précoce. Ils ont tous eu la présence d'esprit d'acheter un truc qui la pète avant même de savoir marcher bien droit. Pour un peu ça donnerait l'impression que tu ne peux pas vendre le moindre CD si tu t'es rendu coupable d'un achat honteux dans ta jeunesse.

Sauf que ça titille ce qu'il me reste d'esprit critique et de tu vas pas me la faire à moi. Parce que si je veux bien admettre qu'on tape dans le mille une fois de temps en temps, j'ai du mal à croire qu'il suffit d'être célèbre et d'avoir une carrière pour avoir déniché pile ce qu'il fallait comme premier disque. L'histoire du guitar-hero du Havre qui à l'âge de six ans, ses premières thunes en poche, est allé acheter le 33 tours d'un bluesman enregistré live en septembre 1957 dans une boîte du south side de Chicago, je veux bien mais ça sent l'œuvre de fiction de A à Z qui déborde même un peu sur l'alphabet grec. Et vous pourrez éplucher toute la presse rock sur les trente dernières années, vous ne trouverez aucun artiste s'étant rendu coupable de faute de goût au moment de choisir son premier disque. Et encore une fois, je veux bien, mais c'est mathématiquement pas possible. Il y a forcément une exception qui traîne quelque part. Ou alors c'est une opération marketing contractuelle comme il est de rigueur par les temps foireux qui courent, les musiciens sont-ils devenus de foutus commerciaux qui se servent de références un peu classes voire inventées de toutes pièces pour en mettre un bon coup aux ventes ?

Et soudainement je regrette de n'être jamais interviewé par ces magazines, parce que si ça m'arrivait, au moment de la fameuse question, je prendrais cet air qu'ils prennent tous, cet air de vieil oiseau qui a bien baroudé la clope et le whisky, et je répondrais la vérité crue, inconfortable, sans additifs ni édulcorants. Ma maison de disques m'enverrait certainement pourrir à Guantanamo après ça, non sans m'avoir tranché la langue au coupe-ongles au préalable...

– Thierry Alves [bon déjà ça fait pas nom de groupe à succès ni de chanteur de charme (à moins qu'il s'agisse de charmer des touffes de poils) mais faites semblant de rien, NDLR], vous souvenez-vous du premier disque que vous avez acheté ?

– Ouais... Très bien... C'était en 1986, plutôt vers le printemps, j'avais donc dix ans et des poussières. Je vivais dans un petit village perdu du sud de la France, Saturargues ça s'appelait, dans l'Hérault de l'Est. J'étais du genre premier de la classe taciturne, voyez. Je passais le plus clair de mon temps libre à m'évader en écoutant les disques à la demande sur Radio Vidourle, une radio associative du coin qui grésillait pas mal sur la chaîne hifi Akaï que mes parents s'étaient offerte récemment. Je rêvais même d'être animateur radio une fois plus grand, si ça devait par malheur arriver. J'écoutais beaucoup Philippe Cataldo, Gold ou Samantha Fox, mes premières influences artistiques... J'avais d'ailleurs très vite abandonné mes ambitions d'animateur radio au profit d'une carrière de joueur de synthé avec coupe en brosse platine. Suite logique, un jour, j'ai décidé que pour une fois je n'achèterais pas un paquet de bonbons Krema Regal'ad à l'épicerie du village, ouverte de 16 à 18 heures, avec mon argent de poche du mois, mais un disque. Un disque à moi... Le samedi suivant, me voici sur la Nationale 113, assis à l'arrière de la Renault 18 bordeaux de mon père pour les traditionnelles emplettes hebdomadaires au Leclerc de Lunel, une ville située à cinq kilomètres de la maison. Sur la liste des courses il y avait des pâtes et de la purée Vico si je me souviens bien. Nous étions une famille très modeste, ma mère écrivait sa liste au dos du ticket de caisse de la semaine précédente... Arrivé dans le magasin, je me suis immédiatement dirigé vers le rayon musique, impatient d'en extraire moi-même un disque qui m'appartiendrait. C'était un moment magique comme nous les réserve la vie parfois, si on sait s'y prendre correctement. C'était comme pénétrer la caverne d'Ali Baba, il y avait l'embarras de cinq choix, et là-dedans une pochette qui représentait un genre de travelo toulonnais en débardeur, j'ai tout de suite su que j'avais trouvé mon disque. Ce disque, c'était le 45 tours Ouragan de Stéphanie de Monaco, qui devait figurer à la première place du Top 50 à ce moment-là, autant dire une sacrée pointure. Mes premiers pas de tout jeune mélomane, je vous raconte pas la fierté de passer en caisse avec mon billet de vingt francs. J'avais gagné mes galons de p'tit clou comme on le disait en ce temps-là... Ouais... Belle époque... Le disque doit aujourd'hui encore traîner quelque part chez ma mère, à deux pas du fameux Leclerc...


En 1986, sans le savoir, j'ai donc cramé tout espoir de carrière musicale. Mais la purée était délicieuse.

That's all fucking folks...

24.11.12

ROCK N' CASTOR

Retour sur la quatrième édition du concours de nouvelles rock, vue de très près.


J'en aurais presque bavé des litres excités sur mon écran, sans blague. C'était il y a bien longtemps, une annonce sur mesure perdue dans le fatras d'un Facebook lambda, entre deux « si toi aussi tu trouves que le cancer c'est nul partage ceci sur ton mur », la promotion d'un concours de nouvelles rock ouvert à tous. Il fallait essayer, on ferait jamais autant dans le mille que ça. Je ne savais pas écrire de nouvelles, peu importe, on allait se la jouer rock and roll. Plein pot.

Trouver un truc à raconter ne m'a pas pris longtemps, de la route, de la bonne came dans les haut-parleurs, une fille quelque part, et des phrases de bourrin prêtes à tout mettre sens dessus dessous. Le tout venant habituel, en somme. La nouveauté, c'est que pour une fois j'ai réussi à l'écrire, le machin. Six pages comme une Gibson rocailleuse et secouée qui frôle le larsen par moments. Et pour faire encore plus compliqué, c'est le meilleur truc que j'ai jamais écrit, alors je l'ai envoyé. Et moi, le miss univers de l'autoflagellation, j'ai réussi à me convaincre que c'était gagné, qu'il en faudrait de sacrées pour venir me tenir la dragée.

J'ai vite compris les raisons pour lesquelles je m'obstine à me la jouer « rebut de la création », car j'étais monté pour un tour de manège de plus de quatre mois à travers des Mach à deux chiffres. Si partir perdant ressemble à s'asseoir sur le quai et regarder passer les trains et ne même pas tenter de monter dedans lorsqu'ils s'arrêtent, partir gagnant équivaut à se cramponner au dernier wagon et se faire traîner désarticulé sur les rails en faisant tac-tac-tac au rythme des os se cognant les traverses. La clôture du concours était fixée au 30 juin à minuit, et le 1er juillet à 7h j'étais déjà en train de guetter le résultat. Sachant qu'il a fallu attendre début novembre, vous devez commencer à imaginer la rudesse du périple.

Et comme si ça ne suffisait pas, dès les premiers jours de juillet, l'organisateur du concours a évoqué « le très haut niveau » des textes reçus et là je savais qu'il parlait de moi. J'étais devenu écrivain rock, comme ça pour voir, et ça allait faire des étincelles. J'avais écrit l'histoire en six jours de frénésie sous le cagnard féroce de fin juin. Se grouiller, c'était déjà rock and roll, c'était un bon début, une façon propice d'allumer la mèche. Je ne disais pas grand-chose, était-ce même un récit ? Non, juste des bouts de route et de zique éparpillés un peu n'importe comment à travers des relents d'Amérique à la fifties. L'histoire d'un gars qui cherche Hendrix et le trouve dans un vieux motel entre deux tas de trucs en poussière.

Mais je n'ai jamais trop accordé d'importance aux intrigues, aux événements, je préfère causer à ma façon, décousue, sans fil rouge, et qu'Ariane aille se faire foutre au passage. En définitive, ma seule motivation était de taper dans l'œil de la journaliste de Rock and Folk, juste essayer de décrocher un bout de la Lune du journalisme rock, à la hussarde un peu gauche. Et c'est là que j'ai perdu la course, peut-être. Pourquoi être allé transformer une nouvelle rock en CV d'écriture rock, d'autant que le zicos qui casse un peu le jouet ça fait tout de suite cliché rétamé dans le sépia. Ou alors j'ai raté mon coup, possible, mais on s'en cogne en fait, je n'avais jamais rien pondu de tel en douze ans de gratteux de la page. Je partais gagnant parce que j'avais tout simplement déjà gagné.

Que ce soit clair, pendant quatre mois, j'ai dû à moi seul faire exploser les serveurs du site Café Castor, comme si rater la proclamation des résultats me coûterait les dents, le sang, la chair et tout le reste de la marchandise. Au boulot, à la maison, chez les beaux-parents, dans le bureau du boss, un F5 toutes les cinq minutes comme un coup de grosse caisse qui éventre à deux kilomètres à la ronde. Tout en menant une lutte à mort contre mes instincts afin de ne pas spammer la boîte mail des petits castors agités dans leur coin de Bretagne.

Les nouvelles commençaient à tarder et lorsque le mois de novembre s'est finalement pointé, il restait alors deux semaines avant l'annonce des résultats, j'ai décidé de me faire à l'idée, j'avais encore tapé à côté. Mais il y a eu un grand bruit, un truc un poil tectonique, la liste des vingt finalistes enfin rendue publique... Et putain j'étais dans le lot. Je voyais déjà Isabelle Chelley en train d'appeler Philippe Manoeuvre « j'ai un gars pour toi, là, Phil, laisse pas passer l'opportunité ». Si Julien Doré avait réussi, il n'y avait pas de raison qu'un autre énergumène originaire de Lunel ne surgisse lui aussi de nulle part pour dégueulasser un peu la fourmilière... Une pige gratos de temps en temps, des miettes, je prenais, on ne dévore pas grand-chose avec une bouche trop fine, de toute façon...

Très vite ensuite, j'ai pleuré comme un con en regardant dans le rétro. J'étais parti de zéro dix ans auparavant, je distinguais encore la ligne de départ par temps clair, et là je m'apercevais soudain que j'avais franchi des tas de limites, je m'étais dépassé des milliards de fois, j'avais souvent lâché prise, étais remonté sur la bête sauvage. La route était dangereuse et défoncée mais tant qu'elle mènerait quelque part j'arriverais toujours à dénicher quatre roues...

J'ai pas gagné, finalement, ni tapé dans l'œil de qui que ce soit dans le jury, mais il reste ce texte, cette joie d'avoir mis les tripes sur la table pour le faire exister, ce sentiment nouveau de faire enfin partie d'un truc à part, et la fierté d'avoir été l'espace de quelques mois un enfant légitime du rock. Toutes ces choses que personne ne m'enlèvera jamais plus. Dieu est le grincement d'une strato en l'envers dans le juke-box en bout de course d'un motel déglingué, et si j'ai pu en écrire un bout d'évangile, ma mort aura comme un arrière-goût de sourire.

That's all fucking folks...

14.11.12

ROUTE ALGIERS, CX

Ça ressemble à la chaleur poussiéreuse d'un reste de route déglinguée quelque part dans un bout de désert cramé. Une belle fugue dans une tire qui grince et des morceaux de sud plein la carlingue. Un eldorado qui rougit le soir venu pour faire tarder la nuit. Le grand voyage vers un endroit où finir par s'égarer, ne plus avoir à faire le trajet retour. Un paradis de paumés volontaires affamés de plus de fuite encore.

Calexico, au départ c'est une ville tout en bas de la Californie, bien collée au fond, dernière station avant le Mexique, tout le monde descend ou tout le monde continue si pas grand-chose ne reste derrière. Dernier ilot de bicoques agglutinées au bord d'une avenue fatiguée avec la barrière tout au bout, dernière escale avant un endroit où les promesses finissent en mille morceaux dans la terre aride faute de destination. Et justement, Calexico, le groupe, ressemble à cette miette de globe à peine assez vaste pour avoir droit à son nom sur une carte, une frontière reculée où convergent les vents de tous les points cardinaux possibles et l'ultime écho mourant du Pacifique. Il suffit de traduire cette ligne de partage en doubles croches sur une portée un peu froissée pour obtenir le décor des albums de Calexico. Des canicules dispersées au hasard et toujours le bruit de ferraille d'un train de marchandises au loin. Une ruée vers l'or à bord de la pépite elle-même.

Chaque album est un passeport à validité permanente pour des contrées sans nom. Le petit dernier, Algiers, comme Carried to Dust avant lui et tous les autres disques du groupe, est une traversée de pays laissés en friche sur le côté, une bande originale pour routards égarés dans leur carcasse abîmée et qui viennent s'enfiler du celsius en pagaille pour pas un rond. Quelques allers-simples sur du bitume crevassé à travers des cartes postales pour jetés dehors. D'une chanson à l'autre, on passe d'un vieux trottoir en Louisiane à une rue fantôme quelque part entre Nogales et Monterrey, via quelques restes de cabanes abandonnées sur des tronçons de 66 à l'état sauvage. Avec dans l'air des restes d'âmes vagabondes qui volettent encore un peu histoire de faire durer la balade tant que le jour ne finit pas.

Calexico dessine des paysages tellement laissés en l'état qu'ils finissent par jaunir à mesure que le soleil en fait le tour, des tas de nulles-parts comme des trésors ternis et cabossés, des voies de garage sans ombre que plus personne ne vient choisir comme havre pour la nuit, pas même quelques gouttes de pluie de temps en temps. Des chansons comme des cartes routières déchirées à recoller comme on peut pour trouver d'autres minuscules paradis entre deux croisées des chemins, entre deux panneaux branlants pour orienter ce qui reste d'oiseaux rares en pleine dérive.


DERNIERE MINUTE :

DES FRAGMENTS D'HORIZON DANS UNE PETITE BOÎTE

Lundi 12 novembre. Le Rockstore. Montpellier.

La Cadillac à l'entrée n'a jamais aussi bien porté sa tôle rouge. Calexico fait halte à la maison pour quelques heures. Le soir fait dans le tiédasse pour coller comme il faut à l'atmosphère qui se trame à l'intérieur. Plus tard, après une première partie assurée, et bien assurée, par le groupe Blind Pilot (grâce à qui j'ai pu assister au spectacle inédit d'un bûcheron canadien dûment barbu en plein trip de contrebasse), Joey Burns et John Convertino, les pères fondateurs de Calexico, débarquent sur scène avec le reste du groupe pour une virée de deux heures à travers des bouts de terre lointaine, de ce Sunken Waltz qui sonne comme un wagon qui s'ébranle à ces Minas de Cobre pleines de vieux chicanos rétamés à la peau brûlée, en passant par les ports de No Te Vayas où les nuits tombent à point pour laisser une larme couler avant de se dire adieu. Le tout avec la joie d'être ensemble dans le semblant d'automne, entre démangés d'ailleurs qui repartiront pour certains la nuit même vers d'autres frontières, d'autres déserts, d'autres mirages au loin sur la route, d'autres Amériques qui fanent lentement. Avec The Vanishing Mind en B.O. pour aller s'évanouir en lonesome cowboy sans laisser d'adresse ni de signes de vie, des ciels pétés de bleu profond plein la tête et des valises remplies à ras bord d'espoirs mal en point. Mais le cœur qui bat plus fort que le commun des.

That's all fucking folks...

6.11.12

EN ROUTE POUR UNE SACREE JOIE

Quelques traces de génie le long du voyage & des symphonies de Bach chargées à la déjante


Le dernier soir des vacances commence à tomber timide et j'enquille encore un peu de route pour terminer joli. Ceci après dix jours passés chez la vieille reine à abîmer tout le côté gauche d'une Ford de location qui l'avait de toute façon bien cherché avec son putain de volant à droite. Une grosse semaine en V.O. sur les traces de la légende arthurienne, de long en large sur la carte, plus ou moins à gauche, de Tintagel en Calédonie, et me voici quelques jours plus tard sur la route du Cap d'Agde pour assister au spectacle d'Alexandre Astier, Que ma joie demeure, dont le DVD sort aujourd'hui même. Ça s'appelle une boucle bien fermement bouclée au verrou de trois tonnes.

Pourtant, c'était loin d'être gagné. Comme souvent lorsque je déterre une pépite de lumière vive qui va m'abreuver de chaleur inspirée pour un bon bout de temps, je m'y suis pris comme un manche. Mon panthéon de maestros est un gigantesque cimetière de corps déjà bien décomposés, et si jamais les enfoirés font l'effort d'en mettre un dernier coup au-delà de la date de péremption, j'arrive quand même trois siècles après la bataille. J'ai découvert les Stones il y a à peu près six mois, j'ai attendu que ça barde à Vilnius pour me promettre d'aller voir un un concert de Noir Désir un de ces quatre, et j'en ai d'autres en magasin. Des tas de trains que je ne prendrais pas en route même s'ils fonçaient droit sur moi pour m'éparpiller sur les rails. Non, j'attends plutôt qu'ils s'arrêtent au terminus pour enfin monter dedans et fouiller dans les coins des nuits entières.

Pas faute d'avoir été rencardé avec une bonne surdose d'insistance, et la série allait me plaire, et pile dans mon délire (j'apprenais alors que j'avais un... délire, mince alors), et quelques poignées d'etc. Pourtant j'ai découvert Kaamelott bien après la diffusion de la dernière saison sur M6. Et encore, quand je m'y suis mis, c'est à peine grâce à un concours de circonstances, une réplique chopée au hasard d'un zapping frénétique lors d'une soirée à rien branler devant la télé en plein chômage qui s'éternise. Une réplique comme un coup d'Excalibur bien dans le mille, plein le buffet.

La suite logique : des semaines à me farcir l'intégrale de la série avec la conviction de plus en plus affirmée que le merdier avait été pensé pour moi et moi seul. La télé n'avait jamais rien accouché de tel, on déambulait hagard au milieu des Friends propres sur eux et des un gars une fille en plein débat sur qui va faire la vaisselle dans la cuisine bien rangée, et tout à coup une horde de chevaliers armurés de déglingue débarquait là-dedans, cheveux longs cradingues et dialogues au cordeau. Avec cette richesse d'écriture, même une armée de Télétubbies aurait éventré les lignes adverses, à coups d'anachronismes catapultés à feu nourri, de références pointues, de prouesses d'acteurs, de vocabulaire réglé sur « à donf », toutes ces choses qui arrachaient enfin le cerveau d'un sommeil promis à durer.

Il m'a fallu un moment pour croire qu'un seul homme était à l'origine du bordel. Et quand j'ai pu y croire, j'ai d'abord ressenti une immense jalousie : je venais de comprendre que je voulais faire Alexandre Astier comme métier quand je réussirais à être plus grand, mais c'était déjà pris. Et j'étais déjà pas mal vieux, de toute façon... Je voulais parler comme lui, écrire comme lui, créer comme lui, râler comme lui, me laisser pousser un bouc pas des masses symétrique comme lui sans avoir l'air d'un con... et la seule raison pour laquelle je n'ai pas tartiné ma chambre de posters, c'est que je n'ai pas eu la capacité de Damien Saez à arrêter mon horloge biologique à quatorze ans...

La jalousie n'a pas duré très longtemps, plus je m'intéressais au personnage, plus j'avais le sentiment d'avoir affaire à ce genre de frère d'armes qui monte au front pour le compte de ses soldats moins doués à la bataille. Je l'ai vu partout répéter clairement les pensées confuses qui tournent sans cesse dans le brouillard en béton armé qui me sert de tronche. Un Robin des Bois à la flingue facile qui disperse un peu de son génie gratos à un besogneux du neurone qui voudrait bien mais dépasse rarement le 110 sur l'autoroute du QI.

Un type capable de s'indigner de la censure dont est victime Dieudonné sans se faire secouer la quiche par toute la clique bien-pensante du pays, un hussard de la cervelle gaillarde qui s'alarme de la pauvreté culturelle des médias sans passer pour le casse-couilles lettré de service, tout en étant capable de faire rire avec du Chrétien de Troyes repassé à l'hystérie, de la physique quantique délurée avec des citations de Blaise Pascal dedans, ou deux heures déchaînées de théories musicales de Jean-Sé Bach, Que ma joie demeure...

Me voici donc début octobre dans la salle du Palais des Congrès du Cap d'Agde, assis à côté de trois pisseuses dans tous leurs états en voyant débarquer Jean-Christhophe Hembert (le Karadoc de Kaamelott et metteur en scène du spectacle). Deux heures plus tard, à la sortie, sous la nuit encore tiède d'un reste d'été qui traîne un peu, la même sensation d'avoir assisté à une nouvelle prouesse du grand génie mainstream de Gaule. Après ce qui n'est pas un spectacle mais une performance de haute voltige.

Que ma joie demeure est un hymne passionné à la musique en costume d'époque et déjante baraquée, une allégeance à la clé de sol farcie d'étincelles barrées deux plombes durant entre clavecin, orgues démembrés, viole de gambe et tirades démentes, avec un peu de lumière divine qui tombe jamais là où il faut (procurez-vous le DVD y a réplique culte en puissance). Entre deux leçons sur le rythme ou le contrepoint, le Bach d'Alexandre Astier compose une symphonie avec des miettes au fond d'un moule à cake, se torche sévère en pleine messe et malmène une vieille dans l'église (gloire à toi Alex), ou dresse la carte hilarante de la géographie musicale du monde sans s'encombrer de gants (rachetez un DVD, dix minutes de répliques cultes en rafale). Pour résumer, du Alexandre Astier pur jus qui met du cœur et un bon paquet d'âme à l'ouvrage, et nous offre encore un peu de son génie à l'œil, de la bonne barbaque bien saignante à s'enfiler dans le cortex afin de se garantir de l'envergure pour quelques nuits des temps.

That's all fucking folks...