18.4.14

SUR LA ROUTE DU REVE AMERICAIN #4

I want to be a part of it - New York, New York
Morning 1


Je m'étais pieuté assez tôt la veille, sans être bien sûr d'avoir avalé quoi que ce soit depuis le biscuit sous vide et le jus d'orange (visiblement de contrebande) qu'on m'avait filés une heure avant l'atterrissage de l'avion. A vrai dire, ça s'appelait pas vraiment se pieuter, non, du tout, j'étais seulement en train de consulter des brochures, des plans du bled, histoire de me faire une idée de ma promenade du lendemain, lorsque je me mis à cligner des yeux tellement fort qu'à un moment les paupières n'ont pas réussi à remonter pendant sept plombes. Ou quand Saturday Night Fever rencontre la camomille.

C'est donc à 4 heures de mon premier matin new yorkais, à deux pas de Broadway, que je m'offris un premier spectacle, avec pour seul light show la lueur blafarde d'une vieille lampe de chevet style « ma grand-mère aurait eu la même si elle avait eu les goûts de sa grand-mère » et pour seul décor un mur de briques rouges par la fenêtre. Le spectacle de ma petite personne à moitié dessapée, les cheveux encore plus en vrac que d'habitude, complètement frigorifiée par la clim. Un Bardamu dépareillé dans les ténèbres délirantes d'une nuit qui se préparait à mettre les bouts.

Et cette ville qui t'appelle sans arrêt, à croire que chaque building est un minaret grouillant de muezzins munis de l'appli Google Translate pour être sûrs de ne rater personne à dix miles à la ronde. Et ça marche, à peine le temps d'embarquer une Camel et j'étais en train de descendre 10 étages.

4h du mat un dimanche dans les rues de New York. La première leçon que j'en ai tiré, c'est que si cette ville ne dort jamais comme le prétend l'adage, il lui arrive par contre de se tirer en RTT certains week-ends. La nuit pâlissait doucement alors que je me baladais sur la 33ème jusqu'au pied de l'Empire State Building, en ne croisant en tout et pour tout qu'un vieil afro pensif chargé de nettoyer le trottoir. La grosse pomme était ce matin-là un fond de compote qui sentait le détergent. Je remontai à la chambre récupérer ma copilote et de quoi survivre pour la journée, quelques dollars, des pennies, des dimes, des quarters, un putain de paradis du numismate ce coin. Le cauchemar du réfractaire à tout semblant de méthodologie. Pour m'en sortir, j'allais devoir devenir la vieille qu'on croise à la caisse de la supérette, la vieille qui confie son porte-monnaie à la caissière pour lui laisser le soin de récupérer le montant de la note.

Le jour se levait timide et gris, mais à part un bagagiste d'un quintal faisant les cent pas devant l'entrée de l'hôtel, avec au moins trois fois son poids en valises autour de lui, aucun signe de vie au cœur même de Manhattan en ce dimanche matin frileux de juin. Je décidai de me diriger tout doucement vers Central Park en suivant la 7ème avenue puis Broadway à partir de la 42ème rue. A cette heure, on pouvait marcher sur le bitume défoncé de l'avenue sans risquer sa vie, sans même imaginer qu'une bagnole pouvait essayer de vouloir passer. Un agent de la NYPD me regardait prendre deux trois photos comme un gland au milieu de la rue, mais le type s'est résigné à attendre patiemment que je fasse preuve de bon sens. Je ne devais pas être le premier détraqué à défiler devant lui, et ses yeux semblaient dire « encore un type des forêts qui se croit dans la rue Victor Hugo de son bled à la con, j'te foutrais un yellow cab lancé à tombeau ouvert là-dedans, moi ».



Marcher en plein cœur de Times Square un dimanche matin, c'est visiter le vrai New York, c'est marcher dans une vraie ville et pas une galerie marchande à étrangers qui cherchent à jeter leur trop plein de pognon. C'est pouvoir s'arrêter cinq minutes devant le Ed Sullivan Theater juste pour se dire « c'est là dedans que David Letterman me fait marrer putain ». C'est croiser un mannequin asiatique matinal Armanisé de haut en bas qui se fait tirer le portrait en plein milieu de la rue (oui comme moi, mais payé pour, là). C'est longuement s'émerveiller sur des affiches de spectacles de Broadway dont on se cogne copieusement mais Kerouac a fait pareil alors c'est toléré. Et surtout, c'est commencer à se dire que dans ce pays, tout va être possible, tout va pouvoir arriver, tout va dépasser l'entendement.

Autant le dire tout de suite, l'entendement a volé en éclats quand le hasard m'a conduit à prendre un petit dej au Roxy Deli. Franchement, sur la carte, un oeuf et une saucisse ça avait l'air raisonnable, alors quand j'ai vu une assiette de la taille du Delaware débarquer sur la table et noyée sous un wagon de bouffe... J'ai fait comme d'hab en fait : oh c'est parfait, pile ce que j'attendais (le tout dans la langue, c'est à dire « OK, huuum.... OK », à un ou deux « u » près). Par chance, j'avais assez de crocs pour régler l'affaire en cinq minutes, récurage de l'assiette jusqu'à la dernière miette compris.

En remontant Broadway jusqu'à Central Park, je me suis aperçu que quelque chose clochait. Des filles bronzées en short court moulant et dépourvues de la moindre parcelle de graisse surgissaient de plus en plus nombreuses et semblaient converger vers Columbus Circle et l'entrée du Park. La plupart portaient des dossards numérotés, à l'effigie du drapeau portugais. Encore des portos qui n'ont pas pu s'empêcher de créer une association de portugais qui ne veulent surtout pas avoir à y refoutre les pieds, au Portugal, me dis-je. Rien d'inconnu. Sauf que ces filles ressemblaient trait pour trait à la jeune yankee qui s'entretient telle qu'ont me l'avait dépeinte pendant trente ans de films romantiques se déroulant à Central Park. Et aucune d'elles ne se prénommait genre Luzia, j'en fais le pari.

Me voilà donc débarquant dans ce petit square sympa de 340 hectares en plein départ d'une course de fond à travers le parc... Ça courait partout, des cuisses fermes sorties tout droit de la double page centrale de Fitness Mag, des lecteurs MP3 fuchsia en veux-tu en voilà, des visages ravis de puer la sueur, toute la panoplie de l'effort physique consentant, quoi. Une secte effrayante vouée toute entière au culte de la douleur musculaire et de la carotide à 450. Et sur les bancs, dans les buissons, dans les recoins, des clochards crasseux pioncent sans prêter attention au cirque. Les athlètes en sportswear de marque eux non plus ne se rendaient pas compte qu'ils enjambaient des clodos ici et là. C'était fascinant, pour un français comme moi, élevé comme tous ses compatriotes à bien mettre le nez dans le cul des autres. Il y avait là deux Amériques et chacune était une dimension paranormale pour l'autre. On pouvait sentir une frontière presque physique, un mur imprenable. Le plus choquant, c'est qu'il se dégageaient de tout ça comme une sensation d'harmonie. Mais une harmonie brutale, dure, impitoyable. Triste.


En quittant Central Park à la fin de la matinée, enfin en essayant de me frayer un chemin au milieu de 5000 gendres idéaux en plein trip de pulsation cardiaque, il ne m'a pas fallu longtemps pour m'apercevoir que les gigantesques boutiques de souvenirs avaient levé le rideau. Et dans ces endroits ça ne loupe jamais, je deviens un pigeon qui va chercher du côté de l'état second, je fais vingt fois le tour en ramassant tout ce qui passe à ma portée. Et putain qu'est-ce que j'imaginais foutre de cette balle de base-ball à 18 dollars, un sport qui me monte les nerfs en neige au moins autant que le théorème de Thalès.

à suivre...