21.6.12

UNE PIERRE QUI ROULE À MÊME LA TERRE FINIRA BIEN PAR NE JAMAIS MOURIR


Chronique éméchée d'un voyage tranquille parmi de sacrées secousses avec Keith Richards au volant et de la musique enfoncée bien dedans



Quand je pense aux livres que je n'aurais jamais lu si je ne dégageais pas l'aura d'un démonté notoire, je bénis ma mère de m'avoir conçu complètement fou. Je ne compte plus ces pages étincelantes remplies d'histoires de défaits chroniques, de chanteurs de blues à la ramasse, de déviants carabinés, de traînées féroces, de plus ou moins criminels... Ces livres laissés sur les rayons des librairies en me disant mouais on verra chaque fois qu'il m'arrive de passer devant, jusqu'à ce qu'un pote tombe dessus et décide de courir me le refiler, convaincu que je vais tutoyer des septièmes ciels en pagaille à la lecture. Ça devrait lui plaire à l'autre givré... Le spécimen le plus récent de cette collection s'intitule Life de Keith Richards. Le patriarche hirsute des Rolling Stones, ouais, l'himself...

Ce bouquin, au départ, c'était juste un truc rectangulaire en papier brillant parmi d'autres machins en papier brillant au pied d'un sapin de Noël surchauffé, dans une pièce trop pleine de monde pour un animal sauvage de ma trempe, dont l'espace vital adéquat avoisine les six kilomètres. Quand est venue l'heure de déguiser le vieil oncle fasciste en Père de mon cul Noël, mon frère s’est approché avec le sourire confus du pris dans le sac qui se sait léger en alibi et m'a tendu un paquet. Il a un peu cafouillé son Joyeux Noël... Joyeux Noël ? Tu plaisantes ? T'as vu toute cette foule effrayante, bordel ? Ose le répéter plus fort, lamentable dégénéré ! J'ai pas vraiment dit ça, je ne me serais jamais permis, d'autant que c'est lui qui recevait, comprenez. J'ai déballé le cadeau selon mon habitude, qui consiste à arracher le papier en une seconde et demie, parce que j'aime trop les cadeaux pour ne pas me transformer en charogne pleine de bave quand j'en reçois un. Et parce qu’on peut se barrer très vite ensuite, aussi.

J'étais loin d'être un fan des Stones (ça a bien changé depuis, mais j'y reviendrai peut-être vers la fin), j’avais bien un Angie quelque part pour les rencards à ne pas foirer, je me démerdais comme je pouvais avec Paint it black sur ma Fender de contrebande, mais ça n’était jamais allé bien plus loin que ça. J'ai donc reçu ce livre comme on reçoit le récit d'un rescapé de l’holocauste, un témoignage essentiel sur un bout d'histoire, quelques pages pour se faire du bagage et trois bafouilles de conversation. Pas plus. Mon frère a bien tenté de justifier l’affaire, j'ai pensé que ça te plairait, mais je sais qu'en réalité sa réflexion avait plutôt dû ressembler à quelque chose comme un gratteux rock démentiellement chevelu qui a bâti sa réputation sur son immortalité et sa résistance à la défonce, un zikos à qui on prête une des vies les plus « sur le fil » de la création, un aimant à rumeurs de dingues, un farfelu notoire qui se fringuait avec les sapes de sa blonde ou n'importe quel tissu taille 38 qui lui tombait sous la main... Ça devrait lui plaire au frangin taré. Et justice lui soit rendue, il a tapé dans le mille. J'ai pas encore retiré la flèche. Rien ne presse.

Bon, le pavé est impressionnant, tu te rends compte qu'il va falloir t’envoyer un bon 700 pages, et merde à quoi bon. Cela dit, pourquoi pas, le rock raconté par son poumon lui-même, ça devait promettre le sacré grand 8. Mais dès les premières lignes, on comprend tout de suite qu'on va regarder ce foutu grand 8 de loin, à travers le genre de jumelles qu’affectionnent les glandus sur les champs de courses guindés, tellement Keith vous raconte ça à la cool, détaché, comme un vieillard revenu miraculeusement d'une expérience de mort imminente et qui vous décrit les moindres détails de son aventure, tranquillement assis sur un canapé confortable en sirotant sa bière fraîche. Genre c'est la vie quoi, pas de quoi en faire des caisses non plus, j'étais déjà vivant avant, je le suis après, quelle différence ?

En toute honnêteté, je m'attendais au récit complètement débraillé d'un petit anglais qui avait choisi comme métier guitariste du plus grand groupe qui ait jamais existé. J'ai reçu à la place une immense leçon de passion sincère en plein dans le buffet. Je devrais dire Passion, avec un grand putain de P. C'est un bouquin qui parle de zique comme aucun n'en a jamais parlé auparavant, à tel point que ce n'est même plus un livre, mais un hymne bruyant et gigantesque à tout ce qui se trame entre les deux Do. Keith Richards n'était pas un défoncé lambda comme son image me l'avait laissé croire, il ne voulait pas gaspiller une seule seconde de rock and roll, et s'il devait pour ça s'enfiler des tas de merdes pour rester éveillé dix jours non-stop à peloter sa Telecaster, il le faisait. C'est tout. On aura bien assez le temps de la jouer à l’économie une fois dans le cercueil.

Keith vous met le nez bien profond dans la musique, et ne vous en ressort qu’une fois vous avoir assez possédé pour rendre stérile toute tentative d’exorcisme opéré par la canaille de Dieu lui-même.
Les secrets qu’il révèle sont pour la plupart enfouis entre chacune des six cordes. Grandes tirades sur la façon d’enchaîner les accords, coulisses de concert à la pelle ou séances de studio tendues aux quatre coins de la planète... Un cadeau en or massif pour musicien du dimanche, et du reste de la semaine tant qu’à faire. Tu n’écoutes plus une chanson de la même façon quand tu apprends que, lors de la prise, la batterie était à l’écart au fond d’un couloir. Enfin tu peux toujours essayer pour voir.

Et quelle générosité dans le propos, Keith m'a démontré qu'il existait encore des oiseaux rares qui ne cherchaient pas à se créer de la posture calibrée à l’ample. Tout y passe, la drogue, les procès, les morts frôlées, la guerre avec Jagger sans y aller par quatre chemins, les forces, les faiblesses. Je verse une larme, OK, où est le problème ? Une franche rasade de pur vrai pendant plus de 700 pages. Keith en sait trop long sur le sujet pour seulement s’encombrer de synonymes. Je ne sais même pas si j'avais déjà vu ça avant, un gars dont les posters inondent des milliards de chambres sur les cinq continents et qui te dit Hey je ne fais que jouer de la guitare, qui que tu sois j'ai autant de sang divin que toi, mon pote. Aucune virgule ne laisse entendre que c’est une icône qui cause là-dedans. Et l’icône elle-même semble ignorer sa condition, pour pas très cher, suffit de remplacer le mot « fan » par « copain », et le tour est joué. Sauf qu’il n’y a pas de truc quelque part dans la manche, s’il avait voulu s’élever au-dessus du mortel, il aurait troqué la guitare hurleuse contre une harpe de mes deux. Il y a bien assez de terre intense à fouler sur ce putain de globe pour aller se faire chier à se trémousser la raie dans les cieux.

Comme je l’évoquais tout à l’heure, je suis devenu un vrai fan des Stones avec tous les papiers en règle en lisant ce bouquin. Ça ne m'avait jamais effleuré l'esprit avant. J'ai honte de le dire aujourd'hui, mais les Stones étaient pour moi ce qu’aurait été Johnny Hallyday s'il était né dans la banlieue londonienne. Un truc pour caricatures de Guillaumes Durands à la con. Je m'y entends pour ce qui est de se gourer, mais je ne me savais pas si balèze en la matière. Il suffisait d'écouter Keith bavarder pour comprendre que les Stones n'étaient ni plus ni moins que la source excitée du rock avec tout ce qu’il faut d’ingrédients pour faire prendre la mélasse, du blues à la country en passant par deux trois Fab Four et Elvis, sans oublier la cause de bien des épreuves nerveuses pour Keith : tout ce qui atterrissait dans l’oreille chaudasse de Jagger. Les Stones étaient la convergence audacieuse de tout un tas de racines qui avaient fini par jaillir de terre en une érection grondeuse et farcie de Viagra pour les siècles des siècles.

Certes, ça pue franchement l'acte manqué de s'y prendre si tard, bien après ce qui risque d'être le dernier album de l'histoire du groupe. Tant pis si c'est trop tard, au moins ça ne pourra plus être « jamais », et je m'en contente bien volontiers. J'en ai raté pas mal, j'ai le vertige en pensant à tous les concerts qui ont dû se dérouler près de chez moi, mais contre rien je n'échangerai ce moment où j'écris ces dernières lignes en plein As tears go by, la toute première chanson des Stones, comme on quitte un quai pour loin, et longtemps. Avec une valise remplie de la certitude que la folie débouchera forcément sur un endroit pas trop avare en soleil. Le début d'un voyage vers un endroit où il suffit de s’arracher les tripes à mains nues pour devenir immortel. Pile l'idée que je me fais de leur enfoiré de paradis.

Plus inattendu, et j’en ai failli avaler ma glotte de travers putain, rares sont les livres dans lesquels je me suis autant identifié au personnage principal. Alors certes, filez-moi une guitare et jetez-moi sur une scène à Londres, je donne pas cinq minutes à l'Angleterre pour disperser du champignon atomique sur tout l'hexagone. Non, je parle pas de ça, mais de tout le reste. La dévotion de Keith pour la musique m'a rappelé ma dévotion pour les mots, il pensait sans cesse musique comme je pense sans cesse à je ne sais quelle phrase tordue. Il faisait de la musique en puisant ailleurs sa propre substance, en épongeant des tas de galaxies pour ensuite passer des mois, des années à en faire sa propre came d’étoiles en furie. Comme moi, encore. Sauf qu'il était bon, lui, mais ça change pas grand chose au topo.

D'autres détails m'ont pas mal troublé. Keith Richards et moi avions la même technique de drague, à la virgule près. On attend que l'évidence saute aux yeux de la fille, on n'est pas des parleurs, on le sait, on connaît notre carte, on la joue. Si la fille en face a les couilles de relancer, on sait qu'on va aller jusqu'au tapis, au sens propre du terme. Un autre exemple, Keith était comme moi toujours étonné de voir des gens aimer ce qu'il faisait, il avait composé des chansons qui s'étaient encastrées pour des millénaires dans je ne sais pas combien de paires d'oreilles, et il se disait encore en débarquant sur scène c'est pour moi tout ça ? Et il n'y avait ni fausse modestie ni cajolerie de faux derche là dedans, c'était de la fascination primitive. Encore plus troublant, il perdait parfois tout contrôle sous l'emprise de la colère et pleurait des heures durant ensuite, une fois calmé, rongé de remords. Pareil pour moi hein, sauf que je ne m'en vante pas des masses. Moi le petit avorton sans réelle envergure qui charge sa guitare de pains à la tonne, le petit timide aussi charismatique qu’un caillou en train de pioncer, j’avais contre toute attente du gène à revendre. Suffisait de se réveiller et se mettre à rouler.

Keith n'avait pourtant pas la gueule de l'âme sœur, parce qu'en fait il n'avait la gueule de rien, à part peut être la sienne. Et c'est finalement la raison pour laquelle j'ai l'impression d'avoir trouvé un frère, à aucun moment il ne s'est déguisé, il n'a jamais considéré comme un problème majeur de passer 70 piges à nu. Il est devenu un phare de plus dans mon océan secoué. Je sais que si je fous le cap vers sa lumière, je n'ai qu'à fermer les yeux et mettre une sacrée gomme jusqu'à ce que le bruit de mon crâne contre un rocher réveille en sursaut tout un tas de macchabées.

J'ai fini par comprendre ce titre, Life. Ce livre sonne comme le mode d'emploi du merdier. Tu ne peux pas prétendre avoir été vivant si tu n'as pas suivi ta propre règle, si tu ne t'es pas synchronisé avec les battements de ton cœur, si tu n'as pas défendu jusqu'à la dernière goutte de sang la moindre parcelle de ton terrain. C'est risqué, tu peux vite te faire dézinguer et rideau, mais si tu n'as pas peur de la mort, la mort préfèrera attendre avant de venir ferrailler avec une teigne comme toi.

That's all fucking folks...

2.6.12

NOTHING IN LA LUMIÈRE SAGE

Notes maladroites sur un envol heureusement foiré & la parole démente gicle enfin de sa propre cendre


J'ai bien failli y rester. Il s'en est fallu d'un rien que je me laisse emporter la dinguerie brouillonne quelque part dans le tourbillon vorace d'un ciel aguicheur. Attiré par les chants de sirènes hallucinées vers un endroit aussi bandant que de l'Eden édulcoré. Une perte de contrôle à grande échelle et sur de trop longues distances. Une perte tout court, totale, les freins pas mal cramés.

Comme souvent dans ce genre de chute, on se rend compte qu'on tombe seulement lors de l'accélération, pas au moment précis où ça trébuche, non, mais bien après les 150 premiers km/h. Je ne me souviens donc pas à quel moment j'ai perdu ce foutu contrôle, je me souviens juste de l'instant où j'ai compris que j'étais en train de filer avide vers des promesses foireuses.

Tout le merdier s'est emballé lorsque j'ai décidé d'être convaincu que j'étais habité d'un semblant de feu sacré. Putain, mes phrases étaient de plus en plus souvent de vrais bijoux, de vraies prouesses d'écriture énervée, et oui j'ai décidé que j'avais le « truc », presque le « it » de Kerouac et Cassady. Je me gourais bien évidemment, les choses sont jamais si simples, mais pour un type convaincu d'être un tas de boue avec des jambes, la chose avait de quoi chambouler certaines routines de l'encéphale. C'était comme donner une belle fleur à un boucher et lui dire « vas-y j'te regarde ».

Ces derniers mois furent donc une course effrénée vers le pire. Primo, j'ai identifié les quelques rares clampins du « milieu » susceptibles d'entendre les échos de la démente parole maison. C'était déjà bien présomptueux, mais pourquoi s'arrêter en si mauvais chemin ? J'ai lu les machins qu'ils éditaient et je vous laisse juger de ma réaction : ça va être presque trop facile de se faire publier par ces gens-là, même le plus mauvais de mes textes enterre en deux coups de pelle rouillée toutes ces pages tellement creuses qu'elles en filent le vertige... Je leur ai quand même donné un échantillon du meilleur, persuadé de leur distribuer de l'or massif à l'œil. Grossière erreur : on n'appâte pas les apôtres de la laine vierge avec des pépites ardentes aux bords tranchants.

Car je me suis fait gentiment éconduire. Toujours la même rengaine, pas assez ceci, trop cela. Nulle part à sa place. J'ai la voix, la musique, le rythme et toute une chiée de bonne came bien déglingue en magasin. Mais je n'ai pas le label adéquat, ni assez bobo, ni assez décalé, ni assez dark, ni assez drôle, ni assez d'histoires sur des sushis qui partent en colo, ni assez de passages au Grand Journal, ni assez de copains qui adoubent, ni assez malléable, ni assez dans le vent, ni assez loin dans la marge, ni des j'en passe... Nulle part à sa place. Un vagabond téméraire trop cinglé pour arriver à destination, et trop seul pour s'arrêter en route.

J'ai donc bien failli y rester, et le taré de Jésus m'en sois témoin, j'ai même créé un blog pour apprendre à écrire comme eux tous, avec des histoires bien molles. Mais je n'ai pas passé dix ans de galère à me dégotter du calibre un peu tordu pour me faire chier à leur donner du bien propre. Voilà, je m'étais réveillé. Tard, abîmé, mais réparable. Et le remède, je l'avais dans la pharmacie, Nothing in Excelsis, ça s'appelait.

Me voici donc en ce soir de juin dégouttant de moiteur écrasante, comme aux bons vieux temps presque oubliés. Avec l'ami Jack que je n'avais jamais touché durant mon voyage vers les Cieux, la bonne vieille Camel aux lèvres et des volutes à même les paupières. L'ambiance est à la brûlure, plus besoin de l'air trop pur du Ciel, on peut tutoyer des tas de sacrées cimes en rampant dans la bonne vieille cendre. Ceux qui ont suivi des bouts de l'aventure première du nom sauront ce qu'il va se passer ici. Les trucs que j'ai envie de raconter, souvent les mêmes choses, quand et comment j'en ai envie, toujours avec ces tirades démentes à rallonge, ces machins bancals à droite à gauche, bref tout le foutoir extravagant maison.

Nothing in Excelsis, mon seul havre, est à nouveau sur les rails, prêt à dérailler dans tous les sens aussi souvent que nécessaire, et moi avec. Puis je saurai désormais quoi répondre à ceux qui m'interrogeront sur la signification de ce titre : j'ai été traîner dans l'Excelsis, et c'est franchement vide comme endroit. C'est à se demander pourquoi on y a foutu un soleil, là-haut.

That's all fucking folks...