Un voyage irascible dans les sixties avec Grace Slick & quelques hippies qui réveillent la rogne
Tu parles d'une
éducation. On ne devrait jamais lâcher un inconscient de ma trempe
dans la nature, on devrait lui coller ses vieux aux basques tant
qu'il tient encore tout seul sur ses cannes et lui mettre une bonne
giclée de torgnoles s'il trouve à redire. Car en quittant le cocon
familial, j'ai entrepris de réduire à néant vingt ans d'éducation
basée sur la politesse et le dos bien droit à table. En choisissant
alors des vagabonds, des clodos, des enragés prêts à se cramer les
fusibles et tout un tas de défoncés comme tuteurs plus ou moins
légaux, je n'ai pas fait que tuer le père, j'ai bouffé ses restes.
A travers des milliers de pages pintées, de Kerouac au bon docteur
Thompson, je me suis fait tout le spectre de l'Amérique dévergondée
et hallucinée, en l'espace de quinze ans. La politesse et le dos
bien droit ont laissé place à un langage de routier irritable et
une colonne vertébrale assez scoliosée pour former un 8. Tu parles
d'une éducation.
Tout ce qui s'est écrit
entre les années 50 et 70 à United States of America m'est
forcément passé entre les mains un jour, des beatniks et plus tard
des hippies par doses de cheval sans m'arrêter pour souffler un peu.
Une posologie de pilules dingues qui débaroulaient pleines de chimie
tapageuse dans le cortex, en assez grande quantité pour dératiser
mon ADN, cave, grenier, cafards... Et si votre idée de la perversion
consiste à choisir comme mètre-étalon des fauchés et des mecs à poil qui dansent dans
la boue, alors ne laissez jamais votre femme
s'approcher de moi...
Car j'ai filé le volant
à ces gens-là, avec le road-book et les clés. Je me suis assis
derrière et j'ai plongé pour une longue apnée dans cette Amérique
« qui pouvait faire naître des étincelles partout »
(Hunter S. Thompson). Là, pour faire coller l'atmosphère, j'ai
rassemblé une B.O. qui ferait passer Woodstock pour un best-of des
JMJ. Bob Dylan, Grateful Dead, Janis, Hendrix et tout un tas
d'autres, barbes, cheveux sales, guitares qui grincent la Mi aiguë
et regards déraillés sous LSD en veux-tu en voilà. Dans le lot, il
y avait un groupe qui ne se contentait pas d'incarner l'époque, mais
allait jusqu'à construire San Francisco autour de quiconque écoutait
trois notes. Jefferson Airplane. Et sa chanteuse, Grace Slick, une
princesse figée menaçante avec les couilles d'un buffle prêt à
ruer, et dont les trémolos me faisaient monter au 100 en une
demi-seconde.
Une bonne raison pour se
farcir son autobiographie en anglais dans le texte. Somebody to
love ? ou l'arrière-boutique du Flower Power par la
taulière elle-même. Grace Slick a tellement bien épousé tous les
contours hippies possibles que son livre a éveillé chez moi les
mêmes sentiments que tout le manège sixties. L'époque où j'aurais
aimé vivre et l'époque qui aurait fait de moi une bête enragée si
j'y avais passé plus de cinq minutes... L'envie d'y être et la
certitude d'avoir envie de me dévorer moi-même après un tour du
pâté de maisons. Avec Grace Slick, je suis passé du « parle-moi
encore des drogues » au « mais étouffe-toi dans ta
marijuana une bonne fois pour toutes, merde », parfois d'une
phrase à l'autre.
D'abord, le livre et
l'époque sonnent comme un hymne braillard à la liberté. A côté,
le poème de Paul Eluard ressemble au mieux à une comptine mielleuse
pour timorés de la cojones. Grace Slick semble avoir ramassé tout
ce qui traînait de bonnard par terre, pour une seule et bonne
raison : pourquoi se priver quand il n'y a qu'à se baisser ?
Elle s'est mise à chanter parce que ça avait l'air cool et quand
elle s'est dit que ce serait plus cool encore de devenir la reine du
truc, il lui a suffi de coudre elle-même le costume. Et ça résume
assez bien ce qui se tramait alors, toutes les barrières avaient été
rassemblées en tas au milieu du village et brûlées jusqu'à la
dernière écharde. Chacun se confectionnait son politiquement
correct à soi, avec pour seule exigence d'y aller franchement sans
se soucier d'un plan de carrière.
Grace Slick était une
première de la classe, une assidue à la tâche, une besogneuse de
la rétame. Plus qu'un témoin, elle était la métaphore parfaite de
ces années-là. Plus de pudeur qui tienne, elle vous raconte l'amour
libéré des vieilles rengaines à la civitas et les drogues qui
élargissent la conscience comme on parle du beau temps à sa
grand-mère. Et si c'est une chose de savoir qu'à l'époque tout le
monde baisait avec tout le monde et de préférence la tête déchirée
au lysergique, c'en est une autre d'entendre Grace vous décrire en
détail comment elle est allée frapper à la porte d'un Jim Morrison
déglingué pour se le taper.
Sans mentir, le Summer of
Love est certainement ce qui a initié ma passion pour les années
60. C'était l'affirmation catégorique d'une liberté arrachée à la seule force de l'outrage, la mort du carcan tenace du couple et des chaînes qui
allaient avec. Il ne s'agissait pas d'une glauquerie à la Cap d'Agde
et Grace Slick est encore là pour nous le prouver par ses
expériences, c'était plutôt une activité comme une autre pour
passer du bon temps entre potes, comme boire un verre ou refaire le
monde. C'était un endroit pour moi, on prenait le plaisir où il
était sans faire rappliquer je ne sais quelle rancœur dans le
tableau... mais si un gars avait posé les yeux sur ma femme, je lui
aurais défroissé la rétine au fer à repasser.
Ouais, si le livre de
Grace me cause d'un temps que j'aurais voulu connaître, il est aussi
pour moi un ramassis des pires saloperies gores de l'après
Jésus-Christ. Une transhumance d'étudiants en lettres tout juste
assez bien fringués pour faire de Manu Chao une icône de la haute
couture, qui vivaient entassés les uns sur les autres et jouaient de
la flûte comme des élèves de sixième. Des pisseuses qui
l'ouvraient en permanence pour t'exposer leurs théories bouddhistes
sur le détachement matériel et finissaient même pas s'en
convaincre. Je n'aurais pas tenu longtemps dans cet environnement,
mais certains hippies encore moins, avec moi dans les parages. Quand
Grace Slick raconte l'incendie qui s'était déclaré chez elle et
avait cramé tout ce qui se trouvait dans la baraque, en se disant
« ce n'était que des biens matériels, l'important est d'avoir
été épargnée », j'ai juste envie de la rosser de coups
jusqu'à ce qu'elle la déballe enfin, sa crise de nerfs.
Le merdier peace and love
était une vraie belle idée, gâchée pour avoir voulu la tourner en
marque déposée, avec ses codes et ses cartes de membre. Au lieu de
disperser les étincelles, tout le monde s'est réuni autour du même
feu de camp, et les porcs d'en face n'ont eu qu'à venir les emmurer,
en un seul voyage. Rideau. L'histoire de Grace Slick ressemble à ça,
une fille qui tombe un peu par hasard sur un vent de liberté mais se
contente de le suivre au lieu d'en faire un ouragan. Et peut-être
qu'il n'y avait rien d'autre à faire, peut-être que Grace et sa
bande étaient dans le vrai finalement, il n'y avait peut-être pas
assez de temps pour créer l'ouragan, mais assez par contre pour
laisser une trace indélébile. Une trace pour qu'un jour une
génération se dise « si trois connasses ont failli mettre la
main sur le magot, on devrait pouvoir se débrouiller pour dynamiter
le coffre-fort... » A supposer que les hippies se soient
occupés des fleurs pour les mettre aux fusils l'heure venue.
That's all fucking folks...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire