8.1.15

GUEULE D'HEBDO

C'est long une gueule de bois qui dure, qui dure. Faut dire qu'hier, la bibine, c'était du costaud. Du 12 ans de moyen-âge, facile. Les verres ont défilé cul-sec. Tac tac tac. Tac tac tac. Sur le coup tu te rends pas vraiment compte, ça t'assomme et tu gerbes un peu, puis tu t'endors comme une merde avec la tête qui te cyclone méchant. Mais le lendemain. Putain le lendemain...

Ça me fait mal. Ça me fait mal car cette petite séance de balles tragiques à Charlie Hebdo a touché des trucs qui comptent pour moi, et plus que ça, des trucs qui font partie de mes fondations, des trucs qui n'ont pas de prix. Ça a touché la presse, et j'ai grandi avec le rêve de devenir journaliste un jour (puis y a eu le collège et les filles et j'ai décidé qu'il était plus pertinent de consacrer mes études à prendre des râteaux les uns après les autres. Si bien qu'aujourd'hui, même un faussaire camerounais à la dèche refuserait de me vendre une carte de presse), ce n'est pas mon métier qui a été touché, mais mon rêve, je ne sais pas si c'est pas pire... Certes, j'étais pas un lecteur de Charlie, mais savoir qu'il faisait des siennes dans les parages, ça me suffisait, puis y avait des dessins qui passaient de temps en temps sur Facebook. Tant que les mecs étaient là, ça faisait un peu passer l'odeur de merde ambiante. Certains d'entre eux étaient de vieilles connaissances, comme beaucoup de gens de ma génération foirée, Cabu c'était Récré A2 avec Dorothée et son nez gigantesque. Et j'ai eu le plaisir de croiser Wolinski très très jeune sur la table de chevet de feu mon grand-père. « Mamaaaaaan, c'est quoi ces cochonneries qu'il lit papi ? » Les nanas dessinées me faisaient bander parfois, ça s'appelle de la prédisposition.

Ça a touché la liberté, la liberté d'aller foutre tes semelles où ça te chante et comme ça te chante. La liberté de te dire « bon j'ai un cerveau voyons ce que je peux en tirer de pas trop mal », car c'est bien ça qui a été touché, on a dézingué des types qui mettaient leur cervelle au service des moins bien lotis dans mon genre, pour aider à nous ouvrir les yeux aussi grand que possible. Voilà que je me mets à chialer comme une conne, putain les gens de cette espèce m'ont tellement apporté, si seulement vous saviez l'ardoise que je leur dois, si seulement vous saviez à quel putain de point je n'ai pu compter que sur eux pour ne pas aller m'égarer je ne sais où. Le simple fait d'être devant un clavier ce soir, en train d'écrire, c'est un peu grâce à eux.

Et enfin, ça a touché ce qui est à mes yeux le plus important : l'humour. C'est un petit cheval de bataille perso depuis quelques années déjà, ceux qui me connaissent le savent et le subissent souvent, aussi. Pardon, hein. Je ne cesse de répéter que cette tendance de l'époque à se prendre de plus en plus au sérieux, à faire monter les assocs au créneau à la moindre vanne, bonne ou mauvaise ce n'est déjà plus la question, cette tendance à ne presque plus pouvoir rire de ce qu'on veut sans se ramasser une giclée de tempête, ça va finir par mal tourner. Depuis le 7 janvier 2015, l'humour est officiellement devenu une conduite à haut risque. Mets ta ceinture camarade, rajoute celle de chasteté on ne sait jamais... Se marrer tue, c'est ça le projet ? Sérieux ? Et on m'enlèvera désormais plus de l'idée que cette tuerie d'hier n'est que la manifestation rude et crue de l'ambiance qui s'installait depuis un bon bout de temps déjà. Oui je sais y aura toujours le risque de l'humour très très douteux voire franchement gerbant ou incitant carrément à la haine, mais s'il y a des tarés que ça fait rire, ça les détendra et qui sait, ça les rendra peut-être moins sensibles de la gâchette. Le meilleur hommage qu'on pourrait rendre à Charb et sa bande, ce serait pas d'essayer de rétablir la peine de rire ?


Mais qu'est-ce que j'ai mal, j'ai dû prendre une balle perdue, sinon j'vois pas.