27.6.13

SUR LA ROUTE DU REVE AMERICAIN #1

Un frileux sur la ligne de départ & le rêve tourne à la sauce Curry


Elle s'en donnait de sacrés airs, l'Amérique, depuis quinze ans et mon premier livre de Kerouac. Elle ne rechignait pas à me caresser le poil dru dans le sens qu'il fallait, elle et ses deux océans gigantesques à chaque extrémité, ses néons violets, ses Route 66, ses cow-boys et ses Love me tender. L'Amérique était pour moi une Betty Boop dans une Buick décapotable pleine de Jerry Lee Lewis en surchauffe, le tout passé sous des tartines de sépia pour faire genre image originale-aucun outil Photoshop n'a été maltraité. Un lieu commun si grossier qu'il filerait une bonne rasade d'épilepsie au plus véreux des vendeurs de cartes postales.

Il était grand temps d'aller voir par moi-même ce qui se tramait dans le hors-champ des posters, voir ce que le rêve américain avait dans le ventre quand on montait sur le ring. A vrai dire le rêve américain a pris du plomb dans l'aile à la seconde où j'ai commencé à mettre le fric de côté, moi dont la notion de budget s'était toujours résumée à « tant que le distributeur de billets n'avale pas ma carte j'ai encore de quoi bouffer... » Et il fallait en avoir comme des melons, l'idée de ce voyage était d'aller vers toutes ces images qui m'avaient fait rêver, pour les admirer d'un œil et regarder le trottoir d'en face avec l'autre, écouter les bruits qu'on n'entend jamais dans les résultats Google Images, croiser les gens du coin qui n'en ont plus rien à foutre des enseignes multicolores au-dessus des diners. Mon désir d'Amérique était né avec Sur la route de Jack Kerouac, je me devais donc de traverser le pays à mon tour, de New York à San Francisco avec autant de détours que nécessaire. En à peine un mois, mais je n'ai jamais prétendu être sain d'esprit.

Le jour du départ, quand je me suis retrouvé à l'aéroport de Montpellier alors qu'il faisait encore nuit, j'ai commencé à me maudire d'aller me foutre dans des galères pareilles, pourquoi n'avais-je pas choisi Dick Rivers comme icône du rêve américain ? Mais les bagages étaient déjà enregistrés et maltraités quelque part dans un entrepôt, je devais monter dans cette foutue carlingue si je voulais revoir ma garde-robe un jour. Lors de l'escale à Roissy, j'en ai même oublié ma valise cabine au milieu de la zone de transit, pour la récupérer seulement dix secondes avant qu'un molosse vigipirate la dynamite. Il y avait comme une odeur de fiasco qui traînait derrière moi, qu'allait-il se passer une fois jeté dans l'essoreuse de Manhattan ?

Mais un problème plus sérieux se posait, à quelques minutes d'embarquer dans le Boeing pour New York : comment survivre à huit heures d'avion alors que je me transforme en grizzli contrarié lorsque je dois me farcir les trois heures de TGV Nîmes-Paris ? J'ai été rassuré dès que j'ai trouvé mon siège, j'avais un peu d'espace, un écran individuel pour regarder tout un tas de films ou le trajet en temps réel de l'avion, et aucun enfant braillard et capricieux aux alentours.

En regardant les alentours, justement, il ne m'a pas fallu longtemps pour comprendre que j'avais été choisi comme figurant dans une super production Bollywood, tous les sièges étaient occupés par des familles hindous et j'ai soudain pensé que ça n'allait pas être de la tarte de trouver un taxi une fois à l'aéroport JFK. Mon voisin de cabine était l'exception, c'était un Turc dont la couleur de peau disait qu'il ne resterait jamais en vie assez longtemps pour voir New York. Il était plus jaune qu'une pleine marmite de sueur d'hindou. Quand l'hôtesse lui demandait si ça allait, il répondait oui, mais dans son oui il y avait « c'est encore loin le pays de l'injection létale ? ». Lorsque l'hôtesse lui offrit un plateau repas Air France, je me suis demandé comment on pouvait être aussi pervers pour s'en prendre ainsi à un mourant. Tout un tas de Jean-Luc Delarue avaient dû payer et feindre un bon paquet de honte pour bien moins que ça...

Finalement, je suis resté à peu près calme pendant presque sept heures, puis j'ai vu le continent américain apparaître 10000 mètres plus bas... Allais-je assurer ? Allais-je y mettre assez de gomme pour réduire le bitume en vieux tas de cendres ? Des pensées tendues déferlaient en ces dernières heures de vol, le rêve montrait les dents et la rage y suintait. L'Amérique était au rendez-vous sur le ring, bien décidée à ne pas attendre le gong du premier round pour m'en mettre une première...

Près de Woody Creek, CO

2.6.13

GOÛTER D'ANNIVERSAIRE IN EXCELSIS

La petite bougie a un goût bien particulier aujourd'hui. Le genre de bougie qu'on veut savourer longtemps avant de la souffler. Un an tout pile que j'ai décidé d'ouvrir le deuxième chapitre de ce blog qui n'a cessé de me faire grandir depuis 2006. Et quelle année ce fut.

2 juin 2012. Il me fallait trouver quelque chose pour arrêter de faire de l'écriture une source d'aigreurs dégueulasses au fur et à mesure des refus. Quelque chose pour arrêter de jouer à la petite putain maquillée au canon qui tortille ses phrases tordues devant des comités de lecture consternés. Et comme je devenais trop vieux pour continuer à me prendre au sérieux, j'ai opté pour ce qui serait une grande orgie d'éclate sans aucune barrière. Finis les faux-semblants, j'allais faire la seule chose dont j'étais capable, écrire des billets sauvages et déglingués sur ce qui me passait par la tête, à ma façon et sans rien chercher de plus. Une somme de tares exhibées sans avoir pris soin de boucler la ceinture. Et comme de juste, j'ai attiré plus de monde cette année que lors des douze précédentes. L'odeur de tripe bien fraîche attire la charogne...

Ouais, tout avait commencé en l'an 2000. Avec 10/10 aux deux yeux et donc aucune promesse de lunettes avant des décennies, je n'avais trouvé que l'écriture pour me donner des airs d'intello. Un vieux complexe maison, le cerveau. Et pendant douze ans mon seul souci fut d'en mettre plein la vue en me faisant passer pour un genre de savant fou avec son univers certes barré mais monté de toutes pièces. Je m'étais créé un personnage féru de Daniela Lumbroso, Julie Pietri ou encore Abba et je m'épuisais à mettre du déjanté, du décalé, du singulier à chaque phrase. J'étais si tristement convaincu d'être l'incarnation définitive du lambda que je me ruinais la santé à paraître le plus bizarre possible. Et ça sentait la chirurgie plastique de gros bourrin à plein nez.

Et il y a tout juste un an, j'ai pris conscience que je ne serais jamais Philippe Katerine mais plutôt un batteur de heavy metal mal rasé et engraissé de bouffe mexicaine matin midi et soir. Alors j'ai rendu tout ce qui ne m'appartenais pas, les accessoires d'intello original, marrant et élégant, pour garder ce qui était à moi, la cape tachée de graisse du gros bourrin. J'allais désormais me débrouiller pour faire avec. Je n'allais plus chercher ailleurs un peu de lumière à mettre sur moi, j'allais la fabriquer moi-même, avec les moyens du bord et un ampérage à quatre chiffres. Je prenais le risque de perdre les deux trois lecteurs qui m'étaient depuis longtemps fidèles, mais vient un moment où il faut choisir entre vivre seul ou mourir entouré.

Je me suis fait la main avec Keith Richards (on n'est pas si nombreux à pouvoir le prétendre) et la puissance de la défonce ne laissait aucun doute, j'avais trouvé le bon wagon, un wagon sans freins qui brinquebalait grand V sur des rails cabossés en laissant derrière lui des bruits de ferraille stridents. Quelque chose là-dedans sonnait le rock un peu brusque, sûrement parce que c'était mon premier texte écrit à l'instinct sans aucune intervention de quelque neurone que ce soit. Je transpirais le rock, suffisait de mettre les gouttes en police Arial sur le papier en exagérant à mort, il m'a fallu douze ans pour le comprendre.

Puis j'ai logiquement écrit une nouvelle rock pour un concours que je n'ai pas remporté mais qui m'a valu près de 3000 lecteurs à ce jour, pas pour flatter mon ego, mais plutôt pour voir si je ne rêvais pas, si j'avais réellement mis la main sur le tas d'or. Autant dire qu'il ne m'en fallait pas plus pour me débarrasser du putain d'ego et passer l'année à nager à poil dans les pépites, en y mettant assez d'atteinte aux bonnes mœurs pour attirer quelques férus de plastique brutale et de traviole. Car si j'ai réussi à garder les anciens lecteurs et parfois leur donner des sourires que je n'avais encore jamais vu sur leur visage, d'autres sont venus prendre leur ticket tout au long de l'année, de nouveaux passagers souvent surprenants, des beaux-pères à la coule, d'anciens patrons intimidants, des mecs dans un chiotte en Angleterre, et tout récemment le rédac' chef du magazine Gonzaï, comme une cerise moqueuse sur un gros gâteau dégoulinant d'ironie, car si j'ai passé des années à me donner de grands airs, c'était justement pour attirer l'œil de ce genre de types.

Ce fut donc une année riche, peut-être la plus riche de toute mon existence, avec ses leçons, ses coups de pied au cul et ses gifles lourdement baguées. En cherchant la reconnaissance douze ans durant, j'avais oublié qu'il fallait d'abord se reconnaître soi-même, mettre quelque chose sur le tapis et dire « voilà ». Il ne suffisait pas d'imiter mes idoles Hunter S. Thompson ou Lester Bangs, il fallait les bouffer, les digérer, et se démerder avec ce qui sortait en bout de chaîne.

Dans une époque de faux-semblants, se foutre à poil est la seule façon de ne pas crever. Et je suis passé tout près du cercueil. En apprenant à dire « c'est à prendre ou à laisser », je me suis aussi servi un sacré rabe d'espérance de vie. L'an deux promet d'être amusant, car je me suis mis en tête d'aller au bout de la logique et passer une bonne partie de cette deuxième année qui vient à écrire mon autobiographie, l'autobiographie d'un lambda qui l'est depuis que son père l'a giclé. Quitte à faire de l'exagération son fonds de commerce, autant étaler la marchandise jusque sur tous les trottoirs à trois kilomètres à la ronde...

That's all fucking folks...