20.12.12

RUINE ET PUANTEUR A SYDNEY

 

- DEUXIEME PARTIE - 

 

La fin du monde venait de tirer sa première balle et le sifflement du projectile ressemblait déjà au cri d'un serpent devenu fou. Et ça nous a collé une telle bouche putain de bée que le premier réflexe a été de se convaincre que ça n'avait rien à voir avec le canular téléphonique. Et quitte à ne pas savoir, autant garder sa trouille au chaud pour la grande sauterie du 21. C'est qu'on veut tous une fin du monde qui fasse film catastrophe avec effets spéciaux à volonté, explosions paniquées dans tous les sens et scène de baise avant le grand saut, mais surtout pas quelque chose qui sonne trop brutalement réel.

Que le merdier puisse venir d'une pintade pile à sa place dans l'époque et assise bien docilement devant un défilé de mojitos, qu'un nabot à belle gueule et vêtements slim soit à l'origine d'un chaos quel qu'il puisse être, seul un dingue défoncé à l'Asperger serait capable de se le farcir avec une certaine sérénité. Et nous voici l'œil vide, incapables de savoir quelle posture adopter face à cet imprévu. Parce que c'est trop démesurément imprévu justement, qu'on pourra tourner le truc dans tous les sens possibles, rien n'aurait pu nous préparer à ça, un monde en carafe à cause d'une simple blague de CE1 grassement rémunérée à l'autre bout de la planète.

Les grincheux de l'optimisme à toute épreuve et les anars falsifiés vont vraisemblablement la ramener avec leur concept du rire de tout et toutes les conneries du genre, et ils auraient presque eu raison si des humoristes n'étaient pas aujourd'hui contraints de jouer dans des foutus bus parce qu'ils rient de ce qu'il ne faut surtout pas écorcher... Cette histoire résume bien ce que nous sommes devenus, l'adage « on peut rire de tout mais pas avec n'importe qui » est devenu « on peut rire de n'importe qui s'il n'est pas grand-chose », et dans un monde où le politiquement correct à outrance ressemble à quelque chose comme un début de rigidité cadavérique, cette tendance à aller tourner en ridicule les désarmés et les rien-du-tout, en vogue chez tous les Willy Rovelli de mes deux, sonne comme le dernier spasme nerveux d'un tas de chair amochée déjà sans vie.

Et voici qu'on apprend que l'infirmière s'est suicidée par pendaison, quelque part dans un cagibi de l'hôpital, et on pourra dire qu'elle a un poil surjoué le manque d'humour et ce que vous voulez, ça ne change à peu près rien au problème. C'était juste une proie facile qu'on a sacrifié sur l'autel bien dégueu du buzz et tant pis pour elle si elle n'a rien compris, tant pis pour elle si elle n'avait pas les ficelles adéquates au fond d'une poche, tant pis pour elle si elle se baladait pas avec un micro devant la bouche et une antenne au-dessus de la tête pour émettre sa défense.

Il va maintenant falloir surveiller ce qui se passe, comment vont tourner les choses, de quel côté le vent va charrier toute sa cargaison d'odeurs de pourri. Et il va falloir l'accepter comme tel. Ça risque d'être duraille à encaisser et la plupart d'entre nous va certainement balayer les rognures d'un revers de main nonchalant, histoire de ne pas trop laisser de bouts de carapace en route. Des guirlandes de petits diablotins féroces vont se précipiter pour court-circuiter nos consciences, nous convaincre qu'on se fait du mouron pour rien. Et merde après tout le grand bordel à venir ne peut pas se résumer à ça. C'est qu'on a eu vite fait de confondre « fin » et « on va tous crever sous les bombes » et probablement qu'on a trop biberonné au Spielberg aussi. Ce qui est sûr, c'est qu'on avait cherché ailleurs, et ça nous arrive à grand V dans l'angle mort.

A l'heure où j'écris ces lignes, les deux clowns sont provisoirement suspendus d'antenne et ça ressemble à l'œil bien crade d'un cyclone qui refoule. La radio 2Day FM a mis pas mal de temps à débander de son « plus gros canular de l'histoire » mais le grand final est à venir et les vents vont dégainer de la rafale costaud. Et ce qu'on nous réserve dans le Kinder Surprise risque bien de nous exploser à la gueule en ouvrant la coquille. Ce qui va se passer à Sydney va changer le monde, et en fait il ne peut pas se passer grand-chose. Il n'y a pas trente-six solutions à l'équation et même les plus hermétiques à la cochonnerie mathématique vont pour une fois entraver quelque chose. Parce que le « x » du merdier va nous être enfoncé bien rouge dans le crâne. Et malheur à ceux qui feindront n'avoir rien remarqué.

Si l'homme a gardé un semblant de conscience dans un coin pour les vieux jours, alors les deux animateurs choisiront de se casser loin de tout ce qui ressemble à un média, et les malheureux ne se déferont jamais vraiment du boulet qui se trainera à leurs chevilles, peut-être même que la simple vision d'un téléphone les plongera dans des tourments à peine envisageables et ils sont pas sortis de l'auberge. La fin du monde sera surtout la leur, le monde ne tournera plus jamais rond pour eux et se mettra à tourner autour du soleil comme des montagnes russes instables et grinçantes. Mais si les choses se déroulent selon ce plan, l'onde de choc va raser toute l'espèce de toute façon déjà rance des chroniqueurs de merde, car après le sort réservé à l'infirmière qui va oser aller déblatérer sur les sans défense, la matière première de ces avortons sans envergure ? Et on comprendra que le monde a bien changé quand on va trouver un truc encore pire à mettre à la place pour continuer à vous faire marrer en flattant vos détestables instincts au passage...

Mais au contraire, et j'en ai bien peur, plus probablement, on va nous laisser oublier un peu le deuil ambiant et remettre tout ce petit monde en selle, d'abord discretos afin de ne pas éveiller les soupçons, puis plus franchement et peut-être même avec un petit podcast qu'on fera tourner là où il faut pour que ça prenne. Le mode opératoire classique, on nous détend les sphincters avec de la repentance retouchée à la PAO pour faire plus vrai puis on y fout l'équivalent de trente ans de BTP sans même nous tirer un rictus d'inconfort. Si on peut faire comme si de rien n'était après cette fâcheuse histoire, si on peut remonter le cirque à l'identique avec tous les papiers en règle, si on ne voit aucun inconvénient à recommencer à abîmer ceux qui n'ont rien demandé, on pourra vraiment parler de fin du monde.

Ironie du sort, les mayas auront eu raison si les choses ne changent pas, car si tout reprend sa place, ça signifiera qu'on peut désormais tuer pour faire le buzz, et inutile de vous faire un dessin, les choses vont franchement empirer au-delà du concevable et ce sera à qui mord le plus fort. On n'était en définitive pas loin de la vérité, la vie va vraiment s'éteindre, nous serons certes toujours vivants, sauf que notre vie n'aura plus aucune valeur. Mais on vous a martelé toutes ces dernières semaines que vous risquiez d'être des cadavres le 22 décembre, vous êtes peut-être déjà en train de vider les comptes et vous envoyer en l'air avec votre belle-sœur. Votre « ouf » de soulagement après avoir été finalement épargnés retentira comme le dernier coup de tampon sur le formulaire d'autorisation du Nouveau Monde. Dans les livres d'Histoire qu'on potassera dans mille ans, on s'appellera Christophe « Côlon ».

That's all fucking folks...

11.12.12

RUINE ET PUANTEUR A SYDNEY

Chronique sauvage & déglinguée d'une mauvaise farce maya

 

- PREMIERE PARTIE -


Des soubresauts de fin du monde à la sauce maya de mes deux commencent à se la dégourdir et si l'on peut se fier à ces premières vagues timides d'apocalypse, la grande partouze du 21 décembre s'annonce plutôt douloureuse. Il n'y aura bien entendu aucun risque pour nos vies, qu'on se rassure, mais quand on se réveillera le 22, finalement épargnés, on ne mettra pas longtemps à regretter de faire partie de la distribution, et le générique de fin promet de défiler lentement. L'aiguille à séisme vient donc de se mettre à convulser, et ça se passe logiquement à Sydney. La première ville qui nous fout la démesure de son feu d'artifice de Nouvel An sous le nez, chaque année, se devait de servir le hors-d'œuvre de la fin du monde programmée.

Jusqu'ici, cette histoire à la Paco Rabanne rongé de l'intérieur par des bestioles raëliennes enragées n'était pour moi qu'une diversion imaginée de toutes pièces dans une salle de conférence pleine de maîtres du monde en costard bien repassé, une tentative grossière de faire croire à sept milliards de naïfs avérés que si la Terre se déglingue dans un semblant de cataclysme, c'est parce qu'une bande de péruviens probablement déchirés au peyotl l'aura écrit quelque part. Et c'est tellement gros qu'on va tous jeter des coups d'œil paniqués vers le ciel toute la journée du 21, et vous allez bien me faire marrer. Mais qui a prétendu que le merdier débarquerait de là-haut, d'abord ? On oublie trop vite que le truc doit incuber dans un foyer de carences en neurones depuis la privatisation de TF1, c'est en tout cas plus probable dit comme ça.

Pour ma part, j'avais complètement oublié qu'il allait se passer quelque chose le 21 décembre prochain, en grande partie parce qu'il suffit de se baisser pour ramasser des fins du monde en veux-tu en voilà. Les cheptels à gros cul qui se trémoussent en appelant ça Zumba pour éviter de dire « régime de la dernière chance en écoutant des groupes cubains à 110 BPM », ça avait déjà comme un parfum de déclin sévère à mes narines. Alors qu'on vienne me demander de rajouter un truc sur la liste déjà longue des machins qui se barrent en couille, en me disant que c'est prévu depuis des siècles (mais qu'on vient de s'en rendre compte, comme de juste), j'ai dit oui poliment pour qu'on me foute la paix. Et direction poubelle.

Bien sûr j'attends avec impatience la date fatidique pour m'offrir une bonne séance de voyeurisme au beau milieu du troupeau. C'est qu'il va falloir se les coltiner les grands pontes de la théorie facile, les professeurs en tout genre qui vont traquer la moindre petite bête sans relâche pendant 24 heures et venir nous expliquer en quoi le monde a bel et bien changé du tout au tout. Ils seront nombreux, une armée nourrie de stress intense qui n'est pas prête à accepter qu'une vieille prophétie puisse être un tissu d'âneries sans précédent, et qui n'a même pas envisagé qu'aujourd'hui on peut tout à fait fabriquer de fausses tables de la loi avec une bonne connaissance de Photoshop et quelques rudiments de géologie pour choisir la bonne caillasse qui ferait vintage.

Ce qui est fascinant dans tout ça, mais aussi foutrement désespérant, c'est la virtuosité avec laquelle on nous agite de toujours plus grossières marionnettes sous le nez pour nous faire regarder ailleurs pendant que la clique aux manettes pille tout ce qu'il y a piller. Et ça marche comme sur des roulettes bien huilées avec contrôle technique à jour. Des spots de pubs commencent même à nous dire de lâcher la thune pendant qu'il en est encore temps, sans déconner. Suffit de présenter le festin et on avale tout comme des goinfres inoculés au Creutzfeldt-Jakob avant d'aller dégobiller nos tripes les uns sur les autres. Nous resterons dans l'histoire comme une génération d'oies gavées et regavées et qui en redemandent tant qu'il y en a dans l'assiette (tout en écoutant Tryo ou l'autre espingouine de contrebande de Chao comme la dose d'aspartame nécessaire pour avoir la conscience tranquille).

Il me semblait important d'essayer de vous ouvrir les yeux pendant trois plombes avant de vous annoncer que j'ai faux sur toute la ligne. Zéro pointé, note éliminatoire. Le monde va bel et bien muter aux alentours du 21.

Ça démarre donc à Sydney parce qu'il fait beau à cette époque de l'année là-bas, et un scénario catastrophe débute toujours par de belles images paisibles, c'est comme ça que ça marche. Ça dégénère en général assez vite... L'épicentre de la fin du monde a choisi d'aller crécher dans les studios de la radio 2Day FM, et la première vague du tsunami n'a mis que quelques jours pour atteindre l'Angleterre.

Bien avant ça, une rumeur enflait doucement dans le Royaume. Kate Middleton, épouse du Prince William et duchesse de je ne sais plus trop quoi, se serait faite engrosser par l'autre premier de la classe et son curriculum à rendre suicidaire un indiscipliné carabiné comme moi. Et ça a commencé à faire un barouf de dingue chez Mamie Babeth, sans que je comprenne trop pourquoi... Le Prince aurait juté c'est ça ? Une éjac faciale qui serait partie de traviole ? Rien de grave pourtant, ils se sont mariés merde, ils peuvent bien se mettre ce qu'ils veulent dans le cul tant que ça leur chante, ils le font désormais dans les règles dictées par l'autre vieille pétasse de Dieu. Quoi qu'il en soit ça mettait tout le monde sens dessus dessous. Enfin depuis mon séjour récent chez eux, j'ai bien compris que les Anglais étaient une bande de détraqués notoires, inutile d'attendre quelque chose un brin sensé de leur part. Ces gens-là roulent à gauche sur des routes à une voie ET à double sens, faudrait pas l'oublier.

Comme si ça ne suffisait déjà pas, la rumeur s'est offert une petite séance de gonflette avec l'admission de Kate Middleton au King Edward VII hospital de Londres, et la nouvelle s'est bien évidemment propagée jusqu'en Australie, cet appendice bâtard du Royaume jeté le plus loin possible des côtes britanniques. Personne ne l'a remarqué alors, mais la fin du monde, c'est à ce moment précis qu'elle a commencé à germer. Pour être tout à fait exact, on va constater qu'elle germait depuis déjà bien longtemps, disons qu'elle a commencé à mettre en branle sa pourriture de fruit.

Quand les choses deviennent sérieuses, la miséricorde trinque mais quelque chose de rudasse. Plus de pitié qui tienne. Et nous y sommes, juste après la frontière du non-retour, un jour de début décembre dans les studios de 2Day FM, une radio de Sydney qui n'est peut-être que la radio locale de Palavas-les-Flots du coin. Deux animateurs attendent le rouge antenne en enfilant leur costume de jeune hilarant. C'est que ces deux-là ressemblent trait pour trait à toute cette nouvelle race de chroniqueurs abêtis jusqu'à la corde qui pullulent dans les émissions télé, et dont la seule aptitude consiste à parler à toute berzingue pour ne pas laisser le temps à quiconque de mesurer l'étendue de la casse vasculo-cérébrale. Il suffit de regarder leur trogne ci-dessus pour les voir suinter le Yann Barthes.

Et qui dit chroniqueurs dit équipe de chroniqueurs et dit aussi tout un tas de faire-valoir rémunérés à la pige dans les coulisses. Et quand on met autant de « degrés zéro » dans une même pièce on obtient un zéro aussi vaste qu'un cratère lunaire. Comme toujours quand on permet aux glands finis de l'ouvrir, ils tirent d'abord et ne se posent pas de questions ensuite. C'est exactement ce qui s'est passé ce matin-là. Une idée creuse surgissant des vannes faciles sur les blondes et des gloussements ininterrompus de rigueur dans ce milieu. L'arme ultime de l'animateur payé à sourire et à faire rire des gens payés pour ça : la blague potache qu'un gosse de six mois pourrait faire, non sans déguiser la chose comme une pure manifestation de génie. Kate Middleton est à l'hosto, LOL, on n'a qu'à appeler l'hosto t'imagines si quelqu'un répond le délire de sa mère la race de sa grand-mère MDR. Fin de citation.

Ils ont donc appelé l'hôpital en se faisant passer pour quelque ruine incontinente de la couronne, et une infirmière certainement émue d'avoir la famille royale au bout du fil n'a pas eu la présence d'esprit de filtrer. Le barrage passé, on leur a donné des nouvelles de la duchesse sans se méfier plus que ça. Enfin quand je parle de nouvelles c'est un bien grand mot : « elle va bien ». Tu parles d'un scoop, il ne faut pas oublier qu'il n'y a que deux options lorsqu'on appelle une structure médicale pour s'enquérir de la santé d'un proche : « le patient va bien » ou « il va falloir être fort ». Mais qu'importe, le truc a fait le putain de buzz de merde et voici une pisseuse et un simplet catapultés au firmament de la célébrité en deux secondes. Comme beaucoup d'autres extraordinairement niais de leur trempe avant eux.

Le buzz, le sacro-malsain du nom, et un sacré coup de pub pour cette radio à la con. Buzz et Pub, les deux fondements du siècle, du monde... Et vas-y qu'on diffuse en boucle le fameux canular pour bien montrer qu'on sait se servir d'un téléphone en dépit de notre handicap mental, qu'on fait monter la sauce jusqu'à ce qu'elle nous sorte par les trous de nez en mousse épaisse coupée à la bave de charogne. Parce que ça n'avait l'air de rien, on avait conquis le monde avec deux demeurés à la coule pour pas très cher, c'est un jeu auquel tout le monde joue tout le temps, c'était notre tour de tomber sur le numéro gagnant.


LIBERATION – 7 décembre 2012



L'infirmière victime d'un canular sur Kate Middleton est décédée


Elle a été retrouvée sans vie dans un local proche de l'hôpital. Le lien avec le canular n'est pas établi...


À suivre...

4.12.12

THE CANCRING STONE

Ruine et mélancolie dans l'expérience de séquelles imminentes & les papillons enfilent les gants...

 

Pour les rockers à la peau pas trop tendre, l'affaire de l'année s'est tramée à la combinarde quelque part à Paris, il y a quelques jours. Les Rolling Stones et leurs 50 piges de carrière traînaient leurs tignasses passées à la chaux (ou au Belle Color pour la vieille Jagger) dans les coins huppés de la capitale depuis un peu trop longtemps pour croire à une simple colo de vieillards friqués. Discrètes répets pour les quatre concerts de Londres et New-York prévus à la fin de l'année ? Dernières retouches cousues main en vue de la sortie de la triple compil GRRR ? C'est là que la rumeur a commencé à venir jaser, les papys se prépareraient à des ances de rodage dans les parages... Et la rumeur n'a même pas eu le temps de finir sa phrase que des billets à quinze euros pour un petit concert le soir même s'envolaient en un clin d'œil sur les Elysées... Deux jours avant un show-case réservé à des traders en vue quelque part dans un théâtre... Des traders de mes deux, sans blague. Et bordel j'ai assisté à ça de très très loin, tellement loin que j'ai appris toute l'affaire bien après que les Stones avaient déjà remballé tout le matos. Parce que j'ai déconné à plein, me suis gouré sur toute la ligne... Oh pas ces jours-ci, non, bien plus tôt que ça, dans les années 90. Le siècle dernier.

Car en ce qui me concerne, ce petit passage des Stones vécu après coup dans les journaux, un bon litre de bave amère aux lèvres, constitue une version du battement d'ailes du papillon pas mignonne du tout. Un papillon à la mandale facile qui te cloue au mur en faisant 37 fois le tour de la Terre pour t'en mettre une bonne raclée avec ce qu'il faut d'élan. Jusqu'ici je n'avais pas vraiment pris conscience que la teigne ingérable qui me servait de version ado reviendrait tôt ou tard me rendre la monnaie, il a suffi de rater le concert de trop... Le foutu papillon s'est pointé armé jusqu'aux dents et tous les crans de sûreté relevés. Sans aucune intention d'avoir fait le voyage pour des prunes.

Apprenez ceci : il y a un moyen moins risqué que la mort imminente pour voir sa vie défiler, il y aussi louper la probable dernière occasion de voir le plus grand groupe rock du monde sur scène. J'ai revu passer pas mal de trucs dérangeants en 16:9 et compris que j'avais déjà raté ces presque derniers concerts des Stones alors que j'étais encore au lycée. Comment aurais-je pu prétendre à la fonction de trader en ayant laissé derrière moi un cimetière de professeurs d'économie en état de catatonie désespérée après m'avoir eu comme élève ? Des cours entiers à faire absolument tout ce qu'il était possible de faire en classe, sauf ce pour quoi j'étais là, et à me fermer une à une toutes les portes obscènes de la porcherie de la finance. Mais de toute façon putain à ce moment-là les Stones n'étaient pour moi qu'une confrérie de grands-mères réduites en poussières par la bande à Kurt, et la Telecaster de Keith une planche en bois tartinée de naphtaline par Slash... Pour ce que ça aurait changé... Et quand bien même, il aurait fallu avoir les cheveux courts et surtout pas cette gueule de portos ravalée à la truelle turque.

Par chance, il n'était pas forcément obligatoire d'être devenu une dégueulasserie gominée à costard chez Natixis ou ailleurs pour défoncer quelques bonnes portes, non, il y avait aussi la possibilité d'être journaliste avec un carnet d'adresses long comme une tirade puante de Zemmour... Journaliste, précisément ce que je pensais vouloir devenir quand j'étais plus jeune... Alors quoi ?

Alors ? Il se trouve que j'avais décidé de rien branler à l'école, au collège, au lycée... C'est aussi simple que ça, et surtout je pensais qu'il suffisait de savoir écrire un peu droit pour avoir le droit de bafouiller dans un magazine. Un conseiller d'orientation m'avait remis sur le droit chemin un jour, « restez sérieux l'avenir ce sont les emplois administratifs, pour vous c'est le BEP compta ou la porte ». Alors j'ai fait compta pour pas devenir punk à chien une fois dehors parce que bon imaginez-moi avec une crête, ça n'a pas de sens. Certains profs vantaient mes qualités d'écriture, le journalisme restait donc bien un truc gravé sur les tables cradingues du destin. Un peu le genre de destin qui te fait comprendre pourquoi ce n'est qu'une sinistre couillonnade, le destin.

Et c'est avec le vague à l'âme que je reçois cette gifle aujourd'hui, perdu dans mon trou du cul du sud de la France. A quel point les choses auraient-elles été différentes si j'avais pris la peine d'ouvrir mes livres de cours ? Aurais-je eu les dents assez trempées dans l'acier pour faire entrer ma carne de bouseux dans une grande école de rupins de père en fils ? M'aurait-on filé les clés du paradis juste avec quelques bonnes notes dans mon cartable ? Aurais-je été plus doué de la plume avec le bon diplôme dans le dossier ? J'en sais rien putain et la vague idée de la réponse me file une ruche entière de bourdons qui vont me canarder à mort si je n'arrête pas tout de suite.

Je me souviens d'un vieux cadre artisanal sur le mur de ma chambre lorsque j'étais tout gosse. Ça parlait de la signification de mon prénom, et une phrase disait « les Thierry suivent une route toute tracée ». Ça disait vrai, sauf que j'ai voulu prendre un raccourci pour arriver plus vite et me suis retrouvé dans un cul-de-sac à des milliers de bornes de là... A la merci des papillons qui viendraient bien assez tôt venger l'Education Nationale...

Les bestioles voraces ont cependant épargné un bout de tympan et je peux aujourd'hui écouter en boucle ce qui sera sans doute le dernier titre enregistré par les Stones avant qu'ils aillent se faire désintégrer en pleine terre. Doom and Gloom, ruine et mélancolie, un clin d'œil sans pitié comme la dernière pierre massive posée au sommet du tas de décombres qui se traîne derrière moi. Mais qui sait, avec du bon ciment je serais encore bien capable d'en faire quelque chose, de toute cette caillasse... un vieux contentieux à régler avec le destin.

That's all fucking folks...