27.5.13

INSIDE LES FRERES COEN, UN PEU

Vieux souvenirs d'un vieux ciné & un voyage tranquille parmi quelques vertiges en THX


Les claques les plus mémorables qu'on reçoit sont souvent celles qu'on a bien méritées. En 1998, je passe le plus clair de mon temps à échafauder des plans foireux pour échapper au service militaire et le cinéma se résume pour moi à Scarface et 37,2 le matin. J'étais à la cinéphilie ce que Franck Ribéry est à la syntaxe, on sait de quoi il s'agit mais on évite de trop y foutre les pieds. Jusqu'au jour où je me retrouve devant The Big Lebowski, un film d'Ethan et Joel Coen avec un personnage d'ancien combattant hilarant parce que colérique sans toujours une bonne raison de l'être, pile moi. Pile pour m'en prendre une bonne sévère. Pour la première fois, je riais aux larmes devant la représentation de mes travers les plus inavouables. Monter très vite et très haut dans les tours en rasant un bon paquet du périmètre, c'était marrant finalement.

Quinze ans plus tard, ce souvenir revient forcément à l'instant où les frères Coen viennent d'être récompensés du Grand Prix du Jury au Festival de Cannes pour leur nouveau film Inside Llewyn Davis (et comptez pas sur moi pour foutre un QR code ici, y a pas marqué prospectus Carrefour). En ces temps où les idées de billets se font aussi rares qu'un solo de guitare dément sur un disque de Linda de Suza, il y comme une odeur d'aubaine là-dedans...

Et la question qui se pose d'emblée est la suivante : de quel masochisme tordu suis-je habité pour systématiquement tomber amoureux d'une œuvre à partir d'une branlée bien secouée ? Car The Big Lebowski, avec son univers barré, ses situations absurdes ou son inventivité était tellement à part et débridé qu'il a agi sur moi comme une armée de phéromones défoncées au Viagra administrées à même l'artère temporale. Ce n'était plus de l'orgasme mais plutôt un shoot de mort imminente qui fait planer assez haut pour serrer la pogne à Saint-Pierre. Le genre de pic qui donne envie d'y revenir risquer le billet pour Eden.

Il a fallu attendre deux ans après ça, mais putain ça aurait pu être quarante-deux vies, ça aurait quand même valu le coup. Quand je m'assois dans la grande salle du cinéma Athénée à Lunel, Hérault (on choisit pas toujours), les spectateurs présents sont loin d'imaginer le spectacle que je vais leur offrir pendant deux heures. Le nouveau Coen, O Brother, vient de sortir et je sens des machins excités dans ma colonne vertébrale à la perspective de m'enfiler une belle dose de came. L'histoire de trois bagnards en cavale dans le Mississipi des années 30, avec un George Clooney qui en met directement dans les molaires et toujours ces personnages sortis de cerveaux noyés dans leur génie. Le tout parsemé de dialogues de haute voltige et une richesse de vocabulaire presque indécente au 21ème siècle. A ce propos, j'ai dû devenir possédé par le malin vers le début du film, lorsque Pete/John Turturro, l'un des trois brigands, demande à Ulysse Everett/George Clooney « et pourquoi ce serait toi le chef de bande ? » A vous de juger s'il était absolument nécessaire de me mettre à rire en foutant des coups de poing sur le siège devant moi après la réponse d'Ulysse : « Parce qu'il me semble que cette fonction requiert une certaine aptitude à l'abstraction, Pete ». L'une des nombreuses répliques savoureuses qui s'enchaînent pendant le film. Oui j'ai perdu tout contrôle devant ce trésor mis à mes pieds, quelqu'un avait enfin réussi à me rendre dingue avec la langue (pensez sens figuré), je bondissais, tremblais, m'agitais et autour de moi des murmures de frayeur commençaient à se faire entendre. Aujourd'hui encore je regarde ce film avec la même ferveur, la ferveur de l'écriture bonnarde.

Après ça, seul un pervers porté sur les réjouissances des bâillons en cuir clouté se serait retenu d'aller se farcir toute la filmo des frères Coen. Et comme malgré les apparences mon éventail de perversions se limite à ce que la chrétienté tolère, je me suis enfilé des litres de sang du Christ en DVD sans passer par la case confesse. Des immenses Fargo ou No Country for Old Men aux moins flamboyants comme Intolérable Cruauté, des films pour ceux qui pensent encore qu'on peut en mettre plein la vue sans dégainer les cojones ou le calibre, sans la ramener, sans rouler je ne sais quelles mécaniques huilées à l'anabolisant. Pour ceux qui vont chercher leurs sensations fortes en se promenant dans le désert plutôt qu'en passant une après-midi via ferrata dans les gorges de j'sais pas quoi. Les frères Coen ont décidé de nous rappeler que l'atmosphère sera toujours plus vertigineuse que le plus profond des vides... Et que le cœur n'a pas toujours besoin d'adrénaline pour battre un bon coup. Parfois la lumière suffit. Encore une histoire de frères...

That's all fucking folks...

15.5.13

NOBODY TO LOVE

Un voyage irascible dans les sixties avec Grace Slick & quelques hippies qui réveillent la rogne


Tu parles d'une éducation. On ne devrait jamais lâcher un inconscient de ma trempe dans la nature, on devrait lui coller ses vieux aux basques tant qu'il tient encore tout seul sur ses cannes et lui mettre une bonne giclée de torgnoles s'il trouve à redire. Car en quittant le cocon familial, j'ai entrepris de réduire à néant vingt ans d'éducation basée sur la politesse et le dos bien droit à table. En choisissant alors des vagabonds, des clodos, des enragés prêts à se cramer les fusibles et tout un tas de défoncés comme tuteurs plus ou moins légaux, je n'ai pas fait que tuer le père, j'ai bouffé ses restes. A travers des milliers de pages pintées, de Kerouac au bon docteur Thompson, je me suis fait tout le spectre de l'Amérique dévergondée et hallucinée, en l'espace de quinze ans. La politesse et le dos bien droit ont laissé place à un langage de routier irritable et une colonne vertébrale assez scoliosée pour former un 8. Tu parles d'une éducation.

Tout ce qui s'est écrit entre les années 50 et 70 à United States of America m'est forcément passé entre les mains un jour, des beatniks et plus tard des hippies par doses de cheval sans m'arrêter pour souffler un peu. Une posologie de pilules dingues qui débaroulaient pleines de chimie tapageuse dans le cortex, en assez grande quantité pour dératiser mon ADN, cave, grenier, cafards... Et si votre idée de la perversion consiste à choisir comme mètre-étalon des fauchés et des mecs à poil qui dansent dans la boue, alors ne laissez jamais votre femme s'approcher de moi...

Car j'ai filé le volant à ces gens-là, avec le road-book et les clés. Je me suis assis derrière et j'ai plongé pour une longue apnée dans cette Amérique « qui pouvait faire naître des étincelles partout » (Hunter S. Thompson). Là, pour faire coller l'atmosphère, j'ai rassemblé une B.O. qui ferait passer Woodstock pour un best-of des JMJ. Bob Dylan, Grateful Dead, Janis, Hendrix et tout un tas d'autres, barbes, cheveux sales, guitares qui grincent la Mi aiguë et regards déraillés sous LSD en veux-tu en voilà. Dans le lot, il y avait un groupe qui ne se contentait pas d'incarner l'époque, mais allait jusqu'à construire San Francisco autour de quiconque écoutait trois notes. Jefferson Airplane. Et sa chanteuse, Grace Slick, une princesse figée menaçante avec les couilles d'un buffle prêt à ruer, et dont les trémolos me faisaient monter au 100 en une demi-seconde.

Une bonne raison pour se farcir son autobiographie en anglais dans le texte. Somebody to love ? ou l'arrière-boutique du Flower Power par la taulière elle-même. Grace Slick a tellement bien épousé tous les contours hippies possibles que son livre a éveillé chez moi les mêmes sentiments que tout le manège sixties. L'époque où j'aurais aimé vivre et l'époque qui aurait fait de moi une bête enragée si j'y avais passé plus de cinq minutes... L'envie d'y être et la certitude d'avoir envie de me dévorer moi-même après un tour du pâté de maisons. Avec Grace Slick, je suis passé du « parle-moi encore des drogues » au « mais étouffe-toi dans ta marijuana une bonne fois pour toutes, merde », parfois d'une phrase à l'autre.

D'abord, le livre et l'époque sonnent comme un hymne braillard à la liberté. A côté, le poème de Paul Eluard ressemble au mieux à une comptine mielleuse pour timorés de la cojones. Grace Slick semble avoir ramassé tout ce qui traînait de bonnard par terre, pour une seule et bonne raison : pourquoi se priver quand il n'y a qu'à se baisser ? Elle s'est mise à chanter parce que ça avait l'air cool et quand elle s'est dit que ce serait plus cool encore de devenir la reine du truc, il lui a suffi de coudre elle-même le costume. Et ça résume assez bien ce qui se tramait alors, toutes les barrières avaient été rassemblées en tas au milieu du village et brûlées jusqu'à la dernière écharde. Chacun se confectionnait son politiquement correct à soi, avec pour seule exigence d'y aller franchement sans se soucier d'un plan de carrière.

Grace Slick était une première de la classe, une assidue à la tâche, une besogneuse de la rétame. Plus qu'un témoin, elle était la métaphore parfaite de ces années-là. Plus de pudeur qui tienne, elle vous raconte l'amour libéré des vieilles rengaines à la civitas et les drogues qui élargissent la conscience comme on parle du beau temps à sa grand-mère. Et si c'est une chose de savoir qu'à l'époque tout le monde baisait avec tout le monde et de préférence la tête déchirée au lysergique, c'en est une autre d'entendre Grace vous décrire en détail comment elle est allée frapper à la porte d'un Jim Morrison déglingué pour se le taper.

Sans mentir, le Summer of Love est certainement ce qui a initié ma passion pour les années 60. C'était l'affirmation catégorique d'une liberté arrachée à la seule force de l'outrage, la mort du carcan tenace du couple et des chaînes qui allaient avec. Il ne s'agissait pas d'une glauquerie à la Cap d'Agde et Grace Slick est encore là pour nous le prouver par ses expériences, c'était plutôt une activité comme une autre pour passer du bon temps entre potes, comme boire un verre ou refaire le monde. C'était un endroit pour moi, on prenait le plaisir où il était sans faire rappliquer je ne sais quelle rancœur dans le tableau... mais si un gars avait posé les yeux sur ma femme, je lui aurais défroissé la rétine au fer à repasser.

Ouais, si le livre de Grace me cause d'un temps que j'aurais voulu connaître, il est aussi pour moi un ramassis des pires saloperies gores de l'après Jésus-Christ. Une transhumance d'étudiants en lettres tout juste assez bien fringués pour faire de Manu Chao une icône de la haute couture, qui vivaient entassés les uns sur les autres et jouaient de la flûte comme des élèves de sixième. Des pisseuses qui l'ouvraient en permanence pour t'exposer leurs théories bouddhistes sur le détachement matériel et finissaient même pas s'en convaincre. Je n'aurais pas tenu longtemps dans cet environnement, mais certains hippies encore moins, avec moi dans les parages. Quand Grace Slick raconte l'incendie qui s'était déclaré chez elle et avait cramé tout ce qui se trouvait dans la baraque, en se disant « ce n'était que des biens matériels, l'important est d'avoir été épargnée », j'ai juste envie de la rosser de coups jusqu'à ce qu'elle la déballe enfin, sa crise de nerfs.

Le merdier peace and love était une vraie belle idée, gâchée pour avoir voulu la tourner en marque déposée, avec ses codes et ses cartes de membre. Au lieu de disperser les étincelles, tout le monde s'est réuni autour du même feu de camp, et les porcs d'en face n'ont eu qu'à venir les emmurer, en un seul voyage. Rideau. L'histoire de Grace Slick ressemble à ça, une fille qui tombe un peu par hasard sur un vent de liberté mais se contente de le suivre au lieu d'en faire un ouragan. Et peut-être qu'il n'y avait rien d'autre à faire, peut-être que Grace et sa bande étaient dans le vrai finalement, il n'y avait peut-être pas assez de temps pour créer l'ouragan, mais assez par contre pour laisser une trace indélébile. Une trace pour qu'un jour une génération se dise « si trois connasses ont failli mettre la main sur le magot, on devrait pouvoir se débrouiller pour dynamiter le coffre-fort... » A supposer que les hippies se soient occupés des fleurs pour les mettre aux fusils l'heure venue.

That's all fucking folks...

9.5.13

DECHARGES DE POISON EN PLEINE CLEF DE SOL

Confessions obscènes d'un mélomane tordu trop intoxiqué de mauvais arsenic pour en garder plus longtemps dans le barillet


Le moteur ronfle, l'heure est proche d'enfourcher la machine et envoyer suffisamment de sauce pour faire hurler les régimes. Histoire de se payer une nouvelle virée en équilibre précaire sur ce bon vieil azerty. Une seule précaution de sécurité, un casque sur la tête. Pour le reste, advienne, advienne... Ouais, une séance d'écriture maison ressemble à un ride enragé sur une moto qui chatouille les glissières et menace de prendre feu à tout moment. Un accident arrive parfois, alors on répare les fractures, serre les garrots, puis on remonte, pas plus compliqué que ça.

Le casque, lui, est la touche essentielle de la panoplie, un appareil bon marché avec assez de décibels dedans pour frôler la combustion spontanée. Et paradoxalement c'était un vrai problème il n'y a encore pas si longtemps. Car si une belle brochette d'Hendrix, Nick Cave, Portishead ou Calexico se partage les lieux, on peut trouver dans les recoins quelques résidents moins évidents à loger sans risquer la descente de flicaille. Le genre qui ferait muter l'hémoglobine d'un journaliste des Inrocks en mélasse pleine d'anthrax. Et putain j'ai lu assez de kilomètres d'Inrocks, de Technikart, sans parler de toute la presse rock qui pouvait me tomber sous la main, pour m'être un jour convaincu de mourir lentement en d'infernales douleurs rétrosternales dues à l'insuffisance respiratoire si je persistais à m'enfiler certaines cames douteuses.

Bien sûr, ce sentiment était dicté par le seul besoin de cacher d'immenses lacunes intellectuelles au moyen de références qui ne se contentent pas de clouer le bec mais l'enfoncent dans la trachée du piaf. A mesure que m'était infligée la honte d'avoir ne serait-ce qu'une seconde avoir pris mon pied avec l'indéfendable, j'amassais toute une artillerie de trucs qu'il faut, des CD surchargés des bons tampons, avec la sensation de franchir le dernier péage avant l'éden. J'ai dépensé pas mal d'aide sociale pour faire en sorte de ne pas me faire refouler une fois arrivé devant l'entrée. Ainsi j'ai pu devenir la caricature snobinarde et hautaine du fin gourmet qui distribue du dédain à volonté et vomit à la seule évocation du groupe Toto. Sauf que ça n'a rien changé au tableau, je suis resté et resterai probablement le petit trouduc assez complexé par ses carences neuronales pour s'échiner à paraître plus malin qu'il ne l'est. Et si j'ai effectivement découvert Nick Cave au hasard d'une compil Inrockuptibles, je serais peut-être passé à côté d'Hendrix sans le guitariste de Toto... T'as bien entendu.

Que ce soit clair, ce billet va sonner comme le coming-out laborieux d'un type trop vieux pour se donner des airs. J'en ai ma claque des prises de tête, des considérations alambiquées sur ce qui fait ou non la musique acceptable. J'aime le rock, dans le sens état d'esprit du terme, je le transpire à gouttes épaisses, et le rock, pour moi, ce n'est rien d'autre que savoir s'éclater en envoyant se faire foutre tout ce qui peut gâcher le trip. Un truc de polisson écervelé bon pour la pension. Car quand le rock cesse de s'en prendre à l'instinct, il devient aussi baisable qu'une pétasse férue de citations de Paulo Coelho. Je ne saurai peut-être jamais placer « electro-pop » dans une conversation mais mon cœur n'en a pas fini de prendre du bon temps. C'est le rock, à fond quel que soit le point cardinal ou le côté de la pièce, sans demi-mesure qui tienne. Et quand viendra le générique de fin, il sera bien temps de se pencher sur le revers de la médaille.

En 1995, la dance déferle sur l'Europe et sachez-le, je n'ai raté aucun des premiers Dance Machine sur M6. Ace of Base ou Dr Alban, ça devrait certes vous dire quelque chose, Fun Factory ou Magic Affair, c'est déjà moins sûr. Eh bien moi si, sur le bout des doigts, à tel point que ça a du mal à partir encore aujourd'hui. Si vous aviez besoin d'un mal barré dans la vie, j'étais votre homme. C'est alors qu'une sacrée chienne de providence m'a remis sur le chemin du rock. La providence, elle avait choisi le seul nom qui ne peut en aucun cas le faire : Toto. Peu importe, j'ai été jusqu'à hurler comme une groupie trop pleine d'œstrogène à leurs concerts, je connaissais les albums par cœur jusqu'à la moindre bribe de riff, et j'ai vite compris qu'une bande de zikos savaient bien mieux dresser le membre qu'une boite à rythme coincée sur 160 bpm. J'ai même commencé à jouer de la musique, car Toto ou pas Toto, ça donnait envie d'y foutre les doigts, cette connerie. Ça, c'était bien sûr avant de me mettre à lire la presse musicale...



Avec le recul, j'ai l'impression d'avoir eu affaire à une bande de témoins de Jéhovah fringués chez Gap, à une différence près : c'est moi qui suis allé sonner à leur porte. J'avais besoin d'initiation, d'un bon trousseau de clés, quelques certificats de bonne conduite, et pas besoin de dérouler la liste. Si je me souviens bien, au moment des faits le rock se résume pour moi à la trilogie Toto-Van Halen-Dire Straits. Tout faux. Tout à refaire, assied-toi et oublie jusqu'à l'idée de moufter. Une seule règle : si ça passe à la radio c'est zéro. Mais c'était (et c'est encore) si putain de bandant de les lire que j'ai tout avalé en prenant bien soin de lécher l'assiette, avec du Paic citron à même la langue, et un merci en prime.

J'en remets une couche, j'étais vraiment persuadé de m'offrir un aller-simple en business class sur Hype Airlines. Comme si mon destin cherchait à se convaincre qu'il n'était pas calibré pour moisir dans l'Hérault, entre des bals de campagne et de la makina à fond dans les bagnoles tunées qui passaient sous mes fenêtres. Alors j'écoutais ce qu'on me conseillait d'écouter, avec au mieux une demi-molle dans les bons jours. Par chance, ma batterie de gènes de cancre me poussait souvent à dénicher la musique qui me plaisait au lieu de potasser mes leçons. Une seule règle : un frisson c'est tout bon. J'éteignais toutes les lumières pour qu'on ne puisse pas retrouver ma trace, et je devenais un cirque lubrique à moi tout seul, avec les râles et tout l'attirail.

Et si j'ai à la longue accumulé toute une collection de grands crus millésimés au fer rouge, des Stones aux Doors, en passant par Neil Young, Dylan, Patti Smith, Jeff Buckley ou Elvis, si j'ai découvert le blues, les gratteux folk, tout un tas de hippies à oualpé et une sacrée multitude de paysages rock, de l'and roll au metal, j'ai aussi plongé vers une partie moins montrable de l'iceberg... Tellement peu montrable qu'on l'a enfermée à double tour en Scandinavie. Mais comme une nuit qui dure des mois ressemblerait plutôt à ma conception du paradis, j'ai pris un billet.

En tant qu'amoureux des femmes et du heavy metal, je ne pouvais qu'aller m'encanailler comme un porc sur une planète où les plus de seize ans n'ont rien à faire là, le metal symphonique. Un soir, je tombe sur une nana avec une voix lyrique genre vieille diva portée sur le Ravel, mais avec un groupe de metal derrière elle et des mélodies plus proches de Disney que du tout venant démoniaque habituel. Ça ne ressemblait à rien et ça nous faisait donc un point commun, d'emblée. La chanson était Wishmaster, de Nightwish. Et en l'occurrence un virus inoculé sans ménagement, riveté à même l'os.



Plus de critique rock qui vaille, ces belles au bois dormant qui chantaient des trucs sur les elfes au milieu d'une bande de vikings peu commodes, c'était comme une transfusion permanente d'héroïne à même la carotide, tout semblant de raison coupé à la source et des nuits entières à bouffer du gothique pour fillettes jusqu'à m'en faire péter les cernes. Il y a bien eu des séances de désintox mais la volonté ne bande pas longtemps les muscles devant un estomac qui n'a rien vu passer depuis des semaines. J'ai creusé assez profond pour me payer un poids sur la conscience, si trois gosses jouaient du metal symphonique dans leur village du Vaucluse, je finissais tôt ou tard par mettre la main dessus. J'ai fait tout mon possible pour en avoir honte, croyez-le, mais finalement j'aurais pu tomber sur bien pire comme dark side et il est temps de lui donner un coin de grand jour.

De Toto au metal symphonique, en passant par Abba, Natalie Merchant ou les pires daubes eighties, la liste des erreurs de casting prend de la place dans ma pile de CD, mais elles me réchauffent quand j'en ai besoin alors pourquoi ne pas se mettre à assumer le bordel ? Pourquoi ne pas laisser les docteurs ès se branler le lobe entre eux et aller quant à moi là où ça grouille d'orgies ? Vais-je encore longtemps hésiter à écrire des articles sur ce qu'il ne faut surtout pas dire, à poster des clips de Sirenia sur Facebook par peur de perdre l'éventuelle estime de je ne sais pas qui ? On ne pourrait pas juste retirer le masque quelques secondes et être vraiment sincère, pour une fois, dans ce putain de siècle de consultants en communication ? Je m'appelle Thierry Alves, je suis assez dingue du groupe Sirenia et de leurs refrains jactés en latin pour avoir choisi la chanson Euphoria comme récompense rituelle après un billet trippant. Qu'on m'inflige une peine si ça chante quelqu'un, de toute façon il paraît qu'on bande, au bout d'une potence...



That's all fucking folks...