22.1.13

PURE GONZAÏ

J'étais aux environs de la Beat Generation, j'attaquais du Gregory Corso, quand le Gonzo a commencé à me faire du pied. J'avais une piaule enfumée de Camel dans un HLM, un PC explosé de mes coups de grolle rageurs quand la connexion internet se la bullait trop à mon goût, quelques litres de whisky bon marché volés au Lidl, des cours de philo rescapés d'une époque où j'avais cru avoir le QI suffisant pour passer mon bac à trente piges, et des bribes de mauvais articles bien planqués dans le disque dur histoire de me la raconter journaliste maudit devant la meuf de l'ANPE (on disait « meuf » en ce temps-là)... Lire tout le cirque gonzo disponible en français (comprenez trois ou quatre livres d'Hunter S. Thompson) ne m'a pris que quelques heures, et tout allait désormais se jouer à la Google pour dénicher de la dose. C'est là, quiché entre de l'Eudeline et des photos de gros merloques déguisés en Raoul Duke, que j'ai trouvé le site des frenchies de Gonzaï.

Gonzaï, au premier coup d'œil, c'est le bordel pour un type comme moi qui passait alors son temps à lire les blogs bien rectilignes de poètes polis, mais l'équipe du site prétendait pratiquer « l'art de connaître beaucoup sur peu de choses » : filiation gonzo revendiquée et intérêt manifeste pour le détail, putain j'étais à la maison ou je ne m'y connaissais pas. Et je me suis vite aperçu que je ne m'y connaissais pas, effectivement. Je ne suis pas resté longtemps, pas que ça ne m'ait pas pas plu, mais lire un truc pareil quand on a choisi son inculture et son insignifiance pour jouer le rôle du complexe invalidant, ça revient à s'amputer soi-même au-dessus du genou avec un vieux coupe-ongles que le mot Frameto ferait doucement rigoler. C'était juste pas le moment le mieux choisi, j'écrivais des trucs fadasses sur Daniela Lumbroso en écoutant du métal symphonique finlandais pour fillettes encore trop jeunes pour s'encanailler dans le Hello Kitty, et j'étais persuadé d'un jour faire mon beurre avec ça. Je venais de tomber sur une bande de freaks qui, eux, savaient faire ce que j'essayais de bricoler à la manche dans mon coin. Ce jour-là, j'ai décidé de chercher un vrai travail et d'oublier toute cette histoire de plume à la con.

Fin 2012, j'ai un boulot qui fait sérieux dans une villa gigantesque du sud de la France et un compte Twitter quelque part. J'ai laissé pousser mes cheveux assez n'importe comment pour ressembler à un Michel Berger coupé à l'ADN de mécano portugais, le gonzo est devenu pour moi ce qu'on appelle « chemin de vie » au catéchisme, et j'écris encore un peu pour rendre service à mes proches qui peuvent ainsi se faire mousser en société en disant « je connais un gars qui peut t'aider à rédiger ta lettre de motivation ». Lors d'une glande sur Twitter, j'apprends le projet d'un Gonzaï format papier, avec l'appel à l'aide qui va avec. Ne sois pas surpris, toi qui t'emmerdes à lire ce truc qui prend des plombes à en venir au fait, mais j'ai tout de suite décidé de mettre là-dedans un peu de la thune rudement gagnée à mettre à l'endroit des auteurs tous plus médiocres les uns que les autres. Pourquoi ? Une histoire de confiance aveugle j'imagine, mais aussi l'occasion d'effacer la dette que je leur dois pour m'avoir remis à ma place dans le paragraphe précédent. Plusieurs options de financement étaient disponibles et j'ai choisi celle qui donnait droit à une lettre personnalisée du rédac-chef, parce que je suis encore assez gavé de perversion pour me l'agiter en imaginant un gars dont Technikart a dit du bien en train d'écrire à un raté de ma trempe.

Quelques semaines plus tard, après avoir fait comme tout le monde en survivant à la fin du monde, me voici bravant le blizzard que constitue la pluie d'un mois de janvier en plein 4° Celsius pour un sudiste pur brandade de morue, direction la boîte aux lettres pour y trouver le premier numéro de Gonzaï. On m'y promet 100 pages de faits, de freaks et de fun. Et d'entrée de jeu on se retrouve à feuilleter le bordel avec frénésie pleine de bave tant la maquette en envoie. Ça en fout partout à tel point qu'on oublie presque les machins écrits dedans, jusqu'au moment où on prend conscience qu'on n'a pas filé 18 euros pour se retrouver avec un album Panini à la pop. J'ai donc transporté mon surplus de graisse vers on endroit vaguement confortable près d'un radiateur ouvert à fond, une tige à goudron aux lèvres, pour voir un peu ce qui se tramait dans ces pages qui canardaient.

Pour un type qui dispose d'une panoplie de sujets de discussion aussi étendue que celle d'un caillou mort, un type qui passe six mois à trouver une idée de billet tirée par les cheveux pour son blog de nazeries bien planquées sous la couche de gros bourrin, le sommaire du magazine apparaît comme une cérémonie de tarés en surchauffe qui dézinguent au semi-automatique le moindre courant d'air qui passe. Si une institutrice à blouse La Redoute venait me demander aujourd'hui ce que je voudrais faire une fois plus grand, je lui répondrais qu'elle ne sortira pas d'ici tant qu'elle ne m'aura pas appris à connecter mes neurones entre eux afin d'être capable de jouer dans la même cour que ces enfoirés-là.

Eh merde, comme d'habitude, le sujet de ce billet va tenir en deux lignes à la fin, faut vraiment que j'en finisse avec cette sale manie de vous considérer comme mes psys, ou pire, mes petits-enfants. J'ai torché le magazine en un après-midi qui tirait sur les gris pas mal foncés, un peu intimidé à l'idée de me coltiner cette exhib de cervelles les potards à 11. Ça commence avec une rafale nourrie de réflexions pop-culture qui m'a personnellement étourdi, du Granola à Spock en passant par une analyse des endroits où ne peut pas passer Passe-Partout, ça tartine à tout-va et ça ne laisse pas un bout de mie en route. Le reste du magazine est tout aussi étourdissant mais dans le sens sacrément bonne came du terme. Une discussion peinarde avec le critique rock anglais Nick Kent où la promo peut aller se faire foutre, une nuit blanche avec Rachid Taha qui se termine assez salement entre les lignes, un chinois qui traîne sa femme en justice pour incompatibilité esthétique, des coups de feu en plein Feux de l'amour, de l'investigation franchement chiadée en pleine Amérique made in Gaule, un récit aiguisé de dix jours dans un squat à Marseille, une playlist pour férus de Muppets, tout un tas d'histoires qui parlent des miettes du siècle qui n'intéressent pas le lambda, avec une qualité d'écriture qui fait passer ce que vous lisez ici pour une analyse de fin de match de Franck Ribéry.

Au milieu de tout ça, l'article Sultans of Swag, ou comment les cailleras ont élu le groupe dire straits comme étendard du rock dans les cités, et c'est là tout ce qui résume Gonzaï, la volonté d'aller frayer vers les coins du décor où personne ne trouve nécessaire de s'aventurer, pour y ramener ce qui se magouille dehors, parfois même pas plus loin que l'autre côté de la porte. De la franchement pure qui nous rappelle que la planète ne se résume pas aux images qu'on veut bien nous montrer par la lucarne.


That's all fucking folks...

8.1.13

IVRESSE ET RUINE CHEZ SAINT-SYLVESTRE

L'année 2012 s'est terminée comme un état des lieux féroce du tas d'excréments qui pave le pays. De petites chiures un peu partout pour bien nous faire comprendre que la panade ne s'est pas cantonnée au portefeuille. Loin s'en faut. Si on ne l'avait pas encore compris, ça y est, nous sommes officiellement de la bonne arthrose tenace qui va gripper quelques rouages de la machine déjà bien avariée, pour un bon moment, je le crains. Non contents de se faire empaler par toutes les couleuvres qui passent, on s'est mis à en chercher de nouvelles bien fraîches, sans même attendre qu'on nous écartèle le sphincter.

La grosse affaire de cette fin décembre fut bien sûr la fuite de ce tonneau couperosé de Depardieu en Belgique, histoire de mettre à profit une notoriété bien surfaite pour échapper à l'effort collectif. Mais à la limite, puisqu'il est libre d'avoir le choix, qu'il se casse s'il déniche un coin plus accueillant et essaie d'en garder un peu dans le bas de laine. Il ira même peut-être jusqu'à se lécher les babines et dans cette éventualité je préfère le savoir loin de chez moi, de toute façon. Seulement, quand la droite sera revenue aux manettes et que Gégé se présentera à la frontière, qu'on fasse au moins semblant de plaider à charge son « amour de la patrie », comme on le ferait pour le sénégalais juste derrière lui dans la file d'attente.

Ce qui sent mauvais, par contre, c'est la vague de soutiens qui a déferlé parmi les petites traînées à la Jean-François Copé qui proclamaient il n'y a pas si longtemps « la France tu l'aimes ou tu la quittes ». M'enfin Depardieu boit du pinard et ne s'appelle pas Rachid, j'imagine que ça doit rendre les choses plus faciles... Pauvre Torreton qui s'est fait rétamer dans tous les sens par toute une clique de collabos surpayés après avoir eu le toupet d'émettre une vague indignation. Et comme d'habitude le clampin gaulois s'est tristement rangé du côté de ceux qu'il voit le plus souvent à la télé, du côté de la balance qui penche.

Le plus dérangeant, c'est qu'on semble accepter de se faire mettre le groin toujours plus profond dans la bonne mouise mijotée aux petits oignons par Natixis & co, alors que les enfouraillés qui pourraient accélérer le processus de sortie de crise refusent de lâcher un peu de caillasse pendant six mois. Et bien entendu, dans le même temps, on risque la prison pour télécharger illégalement les œuvres de ces truies suralimentées et les priver d'un pourcentage infime de leurs droits d'auteur ou de je ne sais pas quoi... Mais on accepte en disant merci poliment, alors est-ce qu'on ne mérite pas finalement de finir cradingues sur un des cartons qu'on nous réserve quelque part dans une rue sordide ?

Aux dernières nouvelles, Depardieu a reçu un passeport russe, la situation aurait presque ressemblé à du glauque ridicule si le glauque ridicule n'avait pas été atteint par les putains à cinq euros du journalisme que sont les potiches d'Itélé, qui ont conclu que le choix de Gégé était un choix du cœur puisqu'il avait joué Raspoutine dans une daube de Josée Dayan et avait réussi à finir un Dostoievski. Qu'il est loin le temps où Yannick Noah avait failli être déchu de sa nationalité française pour avoir prétendu qu'il quitterait le pays en cas d'arrivée de Sarkozy à la présidence, en 2007.

On aurait pu se rabattre sur quelques réjouissances bienvenues au beau milieu de cette foutaise déprimante, se la fendre un bon coup pour oublier un temps le tas d'ordures à la porte, se donner un peu l'impression d'être encore vivant sans même avoir besoin de s'endetter sur dix ans. C'est le moment qu'a choisi très habilement Jamel Debbouze pour venir essayer d'arracher quelques rires du plus profond de notre sclérose. Et même s'il ne peut pas faire rire tout le monde, il évoque au moins Melissa Theuriau par association d'idées, c'est de toute façon déjà ça de gagné. Ça ressemblait à une bonne idée jusqu'à ce qu'il franchisse la ligne jaune en se moquant un peu du physique des habitants de Montbéliard. C'est tout, il lui a suffi de dire « c'que vous êtes moches ici » pour se faire secouer la barbaque comme un Dieudonné coupé au Bachar Al-Assad. C'est devenu une « affaire », le maire de Montbéliard, un genre de Bayrou mais le charisme et l'envergure en moins, a mis sa plus belle écharpe pour venir chialer devant les caméras, les habitants de la ville eux-mêmes (pour la plupart intolérablement disgracieux de leur personne) ont semble-t-il vécu le truc comme une annexion prussienne, et c'est monté en assez haut lieu pour contraindre l'humoriste aux excuses d'un petit garnement chopé en plein vol de Tagada. Et comme de juste, tout le traitement de l'affaire par les médias était en fait une vaste moquerie à peine déguisée qui est, elle, passée comme une lettre à la poste et gardez la monnaie, car dans une société régie par l'apparence, la fierté est aussi bien en point qu'une roumaine tartinée de lèpre à un feu rouge.

Ce qu'a laissé cette fin d'année, c'est l'arrière-goût rance de tout un tas d'armes déposées aux pieds de l'ennemi, la capitulation soudaine et docile du lambda face aux gavés de lingots ou de grandeur. Nous n'avons même plus besoin d'être traînés de force, on suit la flèche sans poser de question, trop heureux d'être épargnés par la soif de ruine qui les déchaîne, tout là-haut. Il suffirait pourtant de ne plus penser au lendemain, de se marrer dès que l'occase se présente, de dire maintenant allez bien copieusement vous faire mettre, on va s'amuser quoi qu'on puisse nous réserver comme belles branlées, et petit à petit, peut-être, les charognes avides de chaque bout d'air qu'on respire perdront leur sang-froid et commenceront alors à empiler les faux-pas.

2013 promet d'être rude et bancale (comme ce billet qui frôle la bonne vieille Mélanchonne), c'est le moment de sortir faire la bringue tous les soirs jusqu'à prendre du coma au dessert, arrêter de croire aux urnes définitivement pour foncer dans le tas à 6 grammes à l'heure en hurlant comme des bêtes enragées. A l'agressivité du camp d'en face répondons par d'immenses orgies de dégénérés notoires qui feront passer les hippies des années 60 pour des bonnes sœurs craintives retranchées derrière trois couches de ceintures de chasteté. Et tôt ou tard, si on s'y prend comme il faut, le vacarme de notre ivresse ira péter en AVC dans le cerveau de ceux qui prétendent nous tenir au bout d'une laisse à nœud coulant. Qu'ils n'oublient pas : l'homme ivre est le seul mammifère immunisé contre la peur et la couardise. Na zdorovje...

That's all fucking folks...