J'étais aux environs de
la Beat Generation, j'attaquais du Gregory Corso, quand le Gonzo a
commencé à me faire du pied. J'avais une piaule enfumée de Camel
dans un HLM, un PC explosé de mes coups de grolle rageurs quand la
connexion internet se la bullait trop à mon goût, quelques litres
de whisky bon marché volés au Lidl, des cours de philo rescapés
d'une époque où j'avais cru avoir le QI suffisant pour passer mon
bac à trente piges, et des bribes de mauvais articles bien planqués
dans le disque dur histoire de me la raconter journaliste maudit
devant la meuf de l'ANPE (on disait « meuf » en ce
temps-là)... Lire tout le cirque gonzo disponible en français
(comprenez trois ou quatre livres d'Hunter S. Thompson) ne m'a pris
que quelques heures, et tout allait désormais se jouer à la Google
pour dénicher de la dose. C'est là, quiché entre de l'Eudeline et
des photos de gros merloques déguisés en Raoul Duke, que j'ai
trouvé le site des frenchies de Gonzaï.
Gonzaï, au premier coup
d'œil, c'est le bordel pour un type comme moi qui passait alors son
temps à lire les blogs bien rectilignes de poètes polis, mais
l'équipe du site prétendait pratiquer « l'art de connaître
beaucoup sur peu de choses » : filiation gonzo revendiquée
et intérêt manifeste pour le détail, putain j'étais à la maison
ou je ne m'y connaissais pas. Et je me suis vite aperçu que je ne
m'y connaissais pas, effectivement. Je ne suis pas resté longtemps,
pas que ça ne m'ait pas pas plu, mais lire un truc pareil quand on a
choisi son inculture et son insignifiance pour jouer le rôle du
complexe invalidant, ça revient à s'amputer soi-même au-dessus du
genou avec un vieux coupe-ongles que le mot Frameto ferait doucement rigoler. C'était juste pas le moment le mieux choisi, j'écrivais
des trucs fadasses sur Daniela Lumbroso en écoutant du métal
symphonique finlandais pour fillettes encore trop jeunes pour
s'encanailler dans le Hello Kitty, et j'étais persuadé d'un jour
faire mon beurre avec ça. Je venais de tomber sur une bande de
freaks qui, eux, savaient faire ce que j'essayais de bricoler à la
manche dans mon coin. Ce jour-là, j'ai décidé de chercher un vrai
travail et d'oublier toute cette histoire de plume à la con.
Fin 2012, j'ai un boulot
qui fait sérieux dans une villa gigantesque du sud de la France et
un compte Twitter quelque part. J'ai laissé pousser mes cheveux
assez n'importe comment pour ressembler à un Michel Berger coupé à
l'ADN de mécano portugais, le gonzo est devenu pour moi ce qu'on
appelle « chemin de vie » au catéchisme, et j'écris
encore un peu pour rendre service à mes proches qui peuvent ainsi se
faire mousser en société en disant « je connais un gars qui
peut t'aider à rédiger ta lettre de motivation ». Lors d'une
glande sur Twitter, j'apprends le projet d'un Gonzaï format papier,
avec l'appel à l'aide qui va avec. Ne sois pas surpris, toi qui
t'emmerdes à lire ce truc qui prend des plombes à en venir au fait,
mais j'ai tout de suite décidé de mettre là-dedans un peu de la
thune rudement gagnée à mettre à l'endroit des auteurs tous plus
médiocres les uns que les autres. Pourquoi ? Une histoire de
confiance aveugle j'imagine, mais aussi l'occasion d'effacer la dette
que je leur dois pour m'avoir remis à ma place dans le paragraphe
précédent. Plusieurs options de financement étaient disponibles et
j'ai choisi celle qui donnait droit à une lettre personnalisée du
rédac-chef, parce que je suis encore assez gavé de perversion pour
me l'agiter en imaginant un gars dont Technikart a dit du bien en
train d'écrire à un raté de ma trempe.
Quelques semaines plus
tard, après avoir fait comme tout le monde en survivant à la fin du
monde, me voici bravant le blizzard que constitue la pluie d'un mois
de janvier en plein 4° Celsius pour un sudiste pur brandade de
morue, direction la boîte aux lettres pour y trouver le premier
numéro de Gonzaï. On m'y promet 100 pages de faits, de freaks et de
fun. Et d'entrée de jeu on se retrouve à feuilleter le bordel avec
frénésie pleine de bave tant la maquette en envoie. Ça en fout
partout à tel point qu'on oublie presque les machins écrits dedans,
jusqu'au moment où on prend conscience qu'on n'a pas filé 18 euros
pour se retrouver avec un album Panini à la pop. J'ai donc
transporté mon surplus de graisse vers on endroit vaguement
confortable près d'un radiateur ouvert à fond, une tige à goudron
aux lèvres, pour voir un peu ce qui se tramait dans ces pages qui
canardaient.
Pour un type qui dispose
d'une panoplie de sujets de discussion aussi étendue que celle d'un
caillou mort, un type qui passe six mois à trouver une idée de
billet tirée par les cheveux pour son blog de nazeries bien
planquées sous la couche de gros bourrin, le sommaire du magazine
apparaît comme une cérémonie de tarés en surchauffe qui
dézinguent au semi-automatique le moindre courant d'air qui passe.
Si une institutrice à blouse La Redoute venait me demander
aujourd'hui ce que je voudrais faire une fois plus grand, je lui
répondrais qu'elle ne sortira pas d'ici tant qu'elle ne m'aura pas
appris à connecter mes neurones entre eux afin d'être capable de
jouer dans la même cour que ces enfoirés-là.
Eh merde, comme
d'habitude, le sujet de ce billet va tenir en deux lignes à la fin,
faut vraiment que j'en finisse avec cette sale manie de vous
considérer comme mes psys, ou pire, mes petits-enfants. J'ai torché
le magazine en un après-midi qui tirait sur les gris pas mal foncés,
un peu intimidé à l'idée de me coltiner cette exhib de cervelles
les potards à 11. Ça commence avec une rafale nourrie de réflexions
pop-culture qui m'a personnellement étourdi, du Granola à Spock en
passant par une analyse des endroits où ne peut pas passer
Passe-Partout, ça tartine à tout-va et ça ne laisse pas un bout de
mie en route. Le reste du magazine est tout aussi étourdissant mais
dans le sens sacrément bonne came du terme. Une discussion peinarde
avec le critique rock anglais Nick Kent où la promo peut aller se
faire foutre, une nuit blanche avec Rachid Taha qui se termine assez
salement entre les lignes, un chinois qui traîne sa femme en justice
pour incompatibilité esthétique, des coups de feu en plein Feux de
l'amour, de l'investigation franchement chiadée en pleine Amérique
made in Gaule, un récit aiguisé de dix jours dans un squat à
Marseille, une playlist pour férus de Muppets, tout un tas
d'histoires qui parlent des miettes du siècle qui n'intéressent pas
le lambda, avec une qualité d'écriture qui fait passer ce que vous
lisez ici pour une analyse de fin de match de Franck Ribéry.
Au milieu de tout ça,
l'article Sultans of Swag, ou comment les cailleras ont élu le
groupe dire straits comme étendard du rock dans les cités, et c'est
là tout ce qui résume Gonzaï, la volonté d'aller frayer vers les
coins du décor où personne ne trouve nécessaire de s'aventurer,
pour y ramener ce qui se magouille dehors, parfois même pas plus
loin que l'autre côté de la porte. De la franchement pure qui nous
rappelle que la planète ne se résume pas aux images qu'on veut bien
nous montrer par la lucarne.
That's all fucking folks...
(soupir d'aise)
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