Push The Sky Away - Nick Cave & The Bad Seeds
Ils ne sont jamais
nombreux les compagnons de route d'un sauvage de ma trempe, une
poignée d'élus dont on sait qu'ils ne dégueulasseront jamais les
sièges ou le bitume juste là-devant. Des pourvoyeurs de la bonne
atmosphère qui sied à tous les longs cours imaginables, quelques
bons amis qui font la converse à coups de gratte ou de voix un peu
nocturnes sur les bords. Et qui ont vite appris à se foutre de mes
silences. Nick Cave fait partie de ceux qui m'accompagneront d'ici à
l'éternité si jamais je m'empale dedans. En attendant, Nick et ses
mauvaises graines viennent de me filer un rabe de carburant avec leur
nouvel album, Push the sky away.
Suffit de jeter un
premier œil distrait sur la pochette du disque pour savoir où on va
foutre les pieds. Un décor de lumière à vif tout juste déchirée
de grâce par deux formes plus sombres, deux silhouettes figées dans
un ballet timide et lugubre alors qu'un ciel chauffé à blanc vient
cramer les interstices. Le voyage s'annonce d'emblée beau et tendu
comme une orgie d'anges désinhibés et on recense déjà quelques
tremblements incontrôlés dans le périnée. La brochure garantit de
l'orgasme à volonté et la jute promet d'avoir un goût de haut
voltage.
Mais au contraire de cet
érotisme déjà plus que latent, l'album démarre comme la boîte à
musique d'un maniaco-dépressif porté sur le paranormal et les
cérémonies louches là où on laisse pourrir les morts, une
petite musique qu'on s'imaginerait entendre la nuit dans une pièce
remplie de poupées inquiétantes au sourire vorace. Mais quand Nick
se met à descendre l'octave dans les rauques bandants, on comprend
tout de suite qu'il a pris les choses au sérieux et que ça va en
envoyer dans les génitales. C'est le Cave de Boatman's call
ou No more shall we part qui vient rôder par ici, celui qui
va parsemer l'affaire de christs en pagaille jusqu'à nous repaître
de leur sang.
S'acoquiner avec ce genre
de Nick Cave, c'est être jeté de plein gré dans une église où un
cureton pinté de cicatrices murmure des évangiles rétamés et des
psaumes de perdus pour de bon du haut d'une chaire en velours
craquelé. Sex, rock and roll et Spiritus Sanctus, devant une chiée
d'apôtres paumés qui viennent finir de se brûler les ailes après
avoir cherché de trop près leur bonne étoile. Une religion qui ne
s'embarrasse pas de dieux à la con et préfère s'en remettre à la
rougeur du stigmate.
Wild Lovely Eyes,
la deuxième chanson sur la liste, en rajoute une couche avec ses
bouts d'orgue au loin et ses enfants de chœur qui semblent jouer aux
frissons à même la peau de Nick, qui termine par un au revoir afin
de se barrer vers le Water's Edge se passer les nerfs. La
tension monte soudain d'un cran, on commence à se dire que ça va
grouiller d'enfers dans pas longtemps, mais comme ce sera le cas dans
tout l'album on n'ira jamais jusqu'à s'approcher des flammes, et
mine de rien ça réveille une intensité bien plus électrique
qu'une bonne décharge de caténaire dans l'aorte.
Que Nick Cave se mette à
errer dans Jubilee Street ou se débatte au milieu des chants
de sirènes du bien nommé Mermaids, cette ballade tout juste
plus que somptueuse qui sonnerait comme une mièvrerie surcalorisée
dans la bouche de n'importe qui d'autre, il donne l'impression de
bénir d'un seul souffle tout ce qui passe à sa portée, et nous
laisse les trouées de silence d'une guitare absente comme des
invitations à aller traîner dans le tableau. La guitare reviendra
bien, pas très loin du The End, mais elle aussi sonnera comme une
planque bien chaude où se réfugier quelques secondes, à bonne
distance de la terre ferme.
En choisissant de
terminer par la chanson titre de l'album (putain j'aurais quand même
pu assumer jusqu'au bout le côté je fais une critique rock de mes
deux et utiliser l'adjectif « éponyme »), Nick Cave nous
offre un testament lancinant sur fond de bruit tranquille qui part
s'abîmer dans le fade out. Push the sky away donc, car non
content d'avoir donné au ciel un tas de couleurs, du bleu au noir
sans lune en passant par le pété d'orange foncé, le temps de neuf
prières parfois engrossées de tempêtes imminentes, il l'a
également assez élargi pour en repousser la frontière quelque part
où le Big Bang fume encore.
That's all fucking folks...
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