Retour sur la quatrième édition du concours de nouvelles rock, vue de très près.
Trouver un truc à
raconter ne m'a pas pris longtemps, de la route, de la bonne came
dans les haut-parleurs, une fille quelque part, et des phrases de
bourrin prêtes à tout mettre sens dessus dessous. Le tout venant
habituel, en somme. La nouveauté, c'est que pour une fois j'ai
réussi à l'écrire, le machin. Six pages comme une Gibson
rocailleuse et secouée qui frôle le larsen par moments. Et pour
faire encore plus compliqué, c'est le meilleur truc que j'ai jamais
écrit, alors je l'ai envoyé. Et moi, le miss univers de
l'autoflagellation, j'ai réussi à me convaincre que c'était gagné,
qu'il en faudrait de sacrées pour venir me tenir la dragée.
J'ai vite compris les
raisons pour lesquelles je m'obstine à me la jouer « rebut de
la création », car j'étais monté pour un tour de manège de
plus de quatre mois à travers des Mach à deux chiffres. Si partir
perdant ressemble à s'asseoir sur le quai et regarder passer les
trains et ne même pas tenter de monter dedans lorsqu'ils s'arrêtent,
partir gagnant équivaut à se cramponner au dernier wagon et se
faire traîner désarticulé sur les rails en faisant tac-tac-tac au
rythme des os se cognant les traverses. La clôture du concours était
fixée au 30 juin à minuit, et le 1er juillet à 7h j'étais déjà
en train de guetter le résultat. Sachant qu'il a fallu attendre
début novembre, vous devez commencer à imaginer la rudesse du
périple.
Et comme si ça ne
suffisait pas, dès les premiers jours de juillet, l'organisateur du
concours a évoqué « le très haut niveau » des textes
reçus et là je savais qu'il parlait de moi. J'étais devenu
écrivain rock, comme ça pour voir, et ça allait faire des
étincelles. J'avais écrit l'histoire en six jours de frénésie
sous le cagnard féroce de fin juin. Se grouiller, c'était déjà
rock and roll, c'était un bon début, une façon propice d'allumer
la mèche. Je ne disais pas grand-chose, était-ce même un récit ?
Non, juste des bouts de route et de zique éparpillés un peu
n'importe comment à travers des relents d'Amérique à la fifties.
L'histoire d'un gars qui cherche Hendrix et le trouve dans un vieux
motel entre deux tas de trucs en poussière.
Mais je n'ai jamais trop
accordé d'importance aux intrigues, aux événements, je préfère
causer à ma façon, décousue, sans fil rouge, et qu'Ariane aille se
faire foutre au passage. En définitive, ma seule motivation était
de taper dans l'œil de la journaliste de Rock and Folk, juste
essayer de décrocher un bout de la Lune du journalisme rock, à la
hussarde un peu gauche. Et c'est là que j'ai perdu la course,
peut-être. Pourquoi être allé transformer une nouvelle rock en CV
d'écriture rock, d'autant que le zicos qui casse un peu le jouet ça
fait tout de suite cliché rétamé dans le sépia. Ou alors j'ai
raté mon coup, possible, mais on s'en cogne en fait, je n'avais
jamais rien pondu de tel en douze ans de gratteux de la page. Je
partais gagnant parce que j'avais tout simplement déjà gagné.
Que ce soit clair,
pendant quatre mois, j'ai dû à moi seul faire exploser les serveurs
du site Café Castor, comme si rater la proclamation des résultats
me coûterait les dents, le sang, la chair et tout le reste de la
marchandise. Au boulot, à la maison, chez les beaux-parents, dans le
bureau du boss, un F5 toutes les cinq minutes comme un coup de grosse
caisse qui éventre à deux kilomètres à la ronde. Tout en menant
une lutte à mort contre mes instincts afin de ne pas spammer la
boîte mail des petits castors agités dans leur coin de Bretagne.
Les nouvelles
commençaient à tarder et lorsque le mois de novembre s'est
finalement pointé, il restait alors deux semaines avant l'annonce
des résultats, j'ai décidé de me faire à l'idée, j'avais encore
tapé à côté. Mais il y a eu un grand bruit, un truc un poil tectonique,
la liste des vingt finalistes enfin rendue publique... Et putain
j'étais dans le lot. Je voyais déjà Isabelle Chelley en train
d'appeler Philippe Manoeuvre « j'ai un gars pour toi, là,
Phil, laisse pas passer l'opportunité ». Si Julien Doré avait
réussi, il n'y avait pas de raison qu'un autre énergumène
originaire de Lunel ne surgisse lui aussi de nulle part pour
dégueulasser un peu la fourmilière... Une pige gratos de temps en
temps, des miettes, je prenais, on ne dévore pas grand-chose avec
une bouche trop fine, de toute façon...
Très vite ensuite, j'ai pleuré comme un con en regardant dans le rétro. J'étais parti de zéro dix ans auparavant, je distinguais encore la ligne de départ par temps clair, et là je m'apercevais
soudain que j'avais franchi des tas de limites, je m'étais dépassé
des milliards de fois, j'avais souvent lâché prise, étais remonté
sur la bête sauvage. La route était dangereuse et défoncée mais
tant qu'elle mènerait quelque part j'arriverais toujours à dénicher
quatre roues...
J'ai pas gagné,
finalement, ni tapé dans l'œil de qui que ce soit dans le jury,
mais il reste ce texte, cette joie d'avoir mis les tripes sur la
table pour le faire exister, ce sentiment nouveau de faire enfin
partie d'un truc à part, et la fierté d'avoir été l'espace de
quelques mois un enfant légitime du rock. Toutes ces choses que
personne ne m'enlèvera jamais plus. Dieu est le grincement d'une strato en l'envers dans le juke-box en bout de course d'un motel déglingué, et si j'ai pu en écrire un bout d'évangile, ma mort
aura comme un arrière-goût de sourire.
That's all fucking folks...
Putain que c'est bon et beau .
RépondreSupprimerGilles
C'est. Chié !
RépondreSupprimerYves
Excellent ! (mais totalement copié sur mon expérience personnelle...)
RépondreSupprimerPhil