24.11.12

ROCK N' CASTOR

Retour sur la quatrième édition du concours de nouvelles rock, vue de très près.


J'en aurais presque bavé des litres excités sur mon écran, sans blague. C'était il y a bien longtemps, une annonce sur mesure perdue dans le fatras d'un Facebook lambda, entre deux « si toi aussi tu trouves que le cancer c'est nul partage ceci sur ton mur », la promotion d'un concours de nouvelles rock ouvert à tous. Il fallait essayer, on ferait jamais autant dans le mille que ça. Je ne savais pas écrire de nouvelles, peu importe, on allait se la jouer rock and roll. Plein pot.

Trouver un truc à raconter ne m'a pas pris longtemps, de la route, de la bonne came dans les haut-parleurs, une fille quelque part, et des phrases de bourrin prêtes à tout mettre sens dessus dessous. Le tout venant habituel, en somme. La nouveauté, c'est que pour une fois j'ai réussi à l'écrire, le machin. Six pages comme une Gibson rocailleuse et secouée qui frôle le larsen par moments. Et pour faire encore plus compliqué, c'est le meilleur truc que j'ai jamais écrit, alors je l'ai envoyé. Et moi, le miss univers de l'autoflagellation, j'ai réussi à me convaincre que c'était gagné, qu'il en faudrait de sacrées pour venir me tenir la dragée.

J'ai vite compris les raisons pour lesquelles je m'obstine à me la jouer « rebut de la création », car j'étais monté pour un tour de manège de plus de quatre mois à travers des Mach à deux chiffres. Si partir perdant ressemble à s'asseoir sur le quai et regarder passer les trains et ne même pas tenter de monter dedans lorsqu'ils s'arrêtent, partir gagnant équivaut à se cramponner au dernier wagon et se faire traîner désarticulé sur les rails en faisant tac-tac-tac au rythme des os se cognant les traverses. La clôture du concours était fixée au 30 juin à minuit, et le 1er juillet à 7h j'étais déjà en train de guetter le résultat. Sachant qu'il a fallu attendre début novembre, vous devez commencer à imaginer la rudesse du périple.

Et comme si ça ne suffisait pas, dès les premiers jours de juillet, l'organisateur du concours a évoqué « le très haut niveau » des textes reçus et là je savais qu'il parlait de moi. J'étais devenu écrivain rock, comme ça pour voir, et ça allait faire des étincelles. J'avais écrit l'histoire en six jours de frénésie sous le cagnard féroce de fin juin. Se grouiller, c'était déjà rock and roll, c'était un bon début, une façon propice d'allumer la mèche. Je ne disais pas grand-chose, était-ce même un récit ? Non, juste des bouts de route et de zique éparpillés un peu n'importe comment à travers des relents d'Amérique à la fifties. L'histoire d'un gars qui cherche Hendrix et le trouve dans un vieux motel entre deux tas de trucs en poussière.

Mais je n'ai jamais trop accordé d'importance aux intrigues, aux événements, je préfère causer à ma façon, décousue, sans fil rouge, et qu'Ariane aille se faire foutre au passage. En définitive, ma seule motivation était de taper dans l'œil de la journaliste de Rock and Folk, juste essayer de décrocher un bout de la Lune du journalisme rock, à la hussarde un peu gauche. Et c'est là que j'ai perdu la course, peut-être. Pourquoi être allé transformer une nouvelle rock en CV d'écriture rock, d'autant que le zicos qui casse un peu le jouet ça fait tout de suite cliché rétamé dans le sépia. Ou alors j'ai raté mon coup, possible, mais on s'en cogne en fait, je n'avais jamais rien pondu de tel en douze ans de gratteux de la page. Je partais gagnant parce que j'avais tout simplement déjà gagné.

Que ce soit clair, pendant quatre mois, j'ai dû à moi seul faire exploser les serveurs du site Café Castor, comme si rater la proclamation des résultats me coûterait les dents, le sang, la chair et tout le reste de la marchandise. Au boulot, à la maison, chez les beaux-parents, dans le bureau du boss, un F5 toutes les cinq minutes comme un coup de grosse caisse qui éventre à deux kilomètres à la ronde. Tout en menant une lutte à mort contre mes instincts afin de ne pas spammer la boîte mail des petits castors agités dans leur coin de Bretagne.

Les nouvelles commençaient à tarder et lorsque le mois de novembre s'est finalement pointé, il restait alors deux semaines avant l'annonce des résultats, j'ai décidé de me faire à l'idée, j'avais encore tapé à côté. Mais il y a eu un grand bruit, un truc un poil tectonique, la liste des vingt finalistes enfin rendue publique... Et putain j'étais dans le lot. Je voyais déjà Isabelle Chelley en train d'appeler Philippe Manoeuvre « j'ai un gars pour toi, là, Phil, laisse pas passer l'opportunité ». Si Julien Doré avait réussi, il n'y avait pas de raison qu'un autre énergumène originaire de Lunel ne surgisse lui aussi de nulle part pour dégueulasser un peu la fourmilière... Une pige gratos de temps en temps, des miettes, je prenais, on ne dévore pas grand-chose avec une bouche trop fine, de toute façon...

Très vite ensuite, j'ai pleuré comme un con en regardant dans le rétro. J'étais parti de zéro dix ans auparavant, je distinguais encore la ligne de départ par temps clair, et là je m'apercevais soudain que j'avais franchi des tas de limites, je m'étais dépassé des milliards de fois, j'avais souvent lâché prise, étais remonté sur la bête sauvage. La route était dangereuse et défoncée mais tant qu'elle mènerait quelque part j'arriverais toujours à dénicher quatre roues...

J'ai pas gagné, finalement, ni tapé dans l'œil de qui que ce soit dans le jury, mais il reste ce texte, cette joie d'avoir mis les tripes sur la table pour le faire exister, ce sentiment nouveau de faire enfin partie d'un truc à part, et la fierté d'avoir été l'espace de quelques mois un enfant légitime du rock. Toutes ces choses que personne ne m'enlèvera jamais plus. Dieu est le grincement d'une strato en l'envers dans le juke-box en bout de course d'un motel déglingué, et si j'ai pu en écrire un bout d'évangile, ma mort aura comme un arrière-goût de sourire.

That's all fucking folks...

3 commentaires:

  1. Putain que c'est bon et beau .
    Gilles

    RépondreSupprimer
  2. C'est. Chié !

    Yves

    RépondreSupprimer
  3. Excellent ! (mais totalement copié sur mon expérience personnelle...)

    Phil

    RépondreSupprimer