6.11.12

EN ROUTE POUR UNE SACREE JOIE

Quelques traces de génie le long du voyage & des symphonies de Bach chargées à la déjante


Le dernier soir des vacances commence à tomber timide et j'enquille encore un peu de route pour terminer joli. Ceci après dix jours passés chez la vieille reine à abîmer tout le côté gauche d'une Ford de location qui l'avait de toute façon bien cherché avec son putain de volant à droite. Une grosse semaine en V.O. sur les traces de la légende arthurienne, de long en large sur la carte, plus ou moins à gauche, de Tintagel en Calédonie, et me voici quelques jours plus tard sur la route du Cap d'Agde pour assister au spectacle d'Alexandre Astier, Que ma joie demeure, dont le DVD sort aujourd'hui même. Ça s'appelle une boucle bien fermement bouclée au verrou de trois tonnes.

Pourtant, c'était loin d'être gagné. Comme souvent lorsque je déterre une pépite de lumière vive qui va m'abreuver de chaleur inspirée pour un bon bout de temps, je m'y suis pris comme un manche. Mon panthéon de maestros est un gigantesque cimetière de corps déjà bien décomposés, et si jamais les enfoirés font l'effort d'en mettre un dernier coup au-delà de la date de péremption, j'arrive quand même trois siècles après la bataille. J'ai découvert les Stones il y a à peu près six mois, j'ai attendu que ça barde à Vilnius pour me promettre d'aller voir un un concert de Noir Désir un de ces quatre, et j'en ai d'autres en magasin. Des tas de trains que je ne prendrais pas en route même s'ils fonçaient droit sur moi pour m'éparpiller sur les rails. Non, j'attends plutôt qu'ils s'arrêtent au terminus pour enfin monter dedans et fouiller dans les coins des nuits entières.

Pas faute d'avoir été rencardé avec une bonne surdose d'insistance, et la série allait me plaire, et pile dans mon délire (j'apprenais alors que j'avais un... délire, mince alors), et quelques poignées d'etc. Pourtant j'ai découvert Kaamelott bien après la diffusion de la dernière saison sur M6. Et encore, quand je m'y suis mis, c'est à peine grâce à un concours de circonstances, une réplique chopée au hasard d'un zapping frénétique lors d'une soirée à rien branler devant la télé en plein chômage qui s'éternise. Une réplique comme un coup d'Excalibur bien dans le mille, plein le buffet.

La suite logique : des semaines à me farcir l'intégrale de la série avec la conviction de plus en plus affirmée que le merdier avait été pensé pour moi et moi seul. La télé n'avait jamais rien accouché de tel, on déambulait hagard au milieu des Friends propres sur eux et des un gars une fille en plein débat sur qui va faire la vaisselle dans la cuisine bien rangée, et tout à coup une horde de chevaliers armurés de déglingue débarquait là-dedans, cheveux longs cradingues et dialogues au cordeau. Avec cette richesse d'écriture, même une armée de Télétubbies aurait éventré les lignes adverses, à coups d'anachronismes catapultés à feu nourri, de références pointues, de prouesses d'acteurs, de vocabulaire réglé sur « à donf », toutes ces choses qui arrachaient enfin le cerveau d'un sommeil promis à durer.

Il m'a fallu un moment pour croire qu'un seul homme était à l'origine du bordel. Et quand j'ai pu y croire, j'ai d'abord ressenti une immense jalousie : je venais de comprendre que je voulais faire Alexandre Astier comme métier quand je réussirais à être plus grand, mais c'était déjà pris. Et j'étais déjà pas mal vieux, de toute façon... Je voulais parler comme lui, écrire comme lui, créer comme lui, râler comme lui, me laisser pousser un bouc pas des masses symétrique comme lui sans avoir l'air d'un con... et la seule raison pour laquelle je n'ai pas tartiné ma chambre de posters, c'est que je n'ai pas eu la capacité de Damien Saez à arrêter mon horloge biologique à quatorze ans...

La jalousie n'a pas duré très longtemps, plus je m'intéressais au personnage, plus j'avais le sentiment d'avoir affaire à ce genre de frère d'armes qui monte au front pour le compte de ses soldats moins doués à la bataille. Je l'ai vu partout répéter clairement les pensées confuses qui tournent sans cesse dans le brouillard en béton armé qui me sert de tronche. Un Robin des Bois à la flingue facile qui disperse un peu de son génie gratos à un besogneux du neurone qui voudrait bien mais dépasse rarement le 110 sur l'autoroute du QI.

Un type capable de s'indigner de la censure dont est victime Dieudonné sans se faire secouer la quiche par toute la clique bien-pensante du pays, un hussard de la cervelle gaillarde qui s'alarme de la pauvreté culturelle des médias sans passer pour le casse-couilles lettré de service, tout en étant capable de faire rire avec du Chrétien de Troyes repassé à l'hystérie, de la physique quantique délurée avec des citations de Blaise Pascal dedans, ou deux heures déchaînées de théories musicales de Jean-Sé Bach, Que ma joie demeure...

Me voici donc début octobre dans la salle du Palais des Congrès du Cap d'Agde, assis à côté de trois pisseuses dans tous leurs états en voyant débarquer Jean-Christhophe Hembert (le Karadoc de Kaamelott et metteur en scène du spectacle). Deux heures plus tard, à la sortie, sous la nuit encore tiède d'un reste d'été qui traîne un peu, la même sensation d'avoir assisté à une nouvelle prouesse du grand génie mainstream de Gaule. Après ce qui n'est pas un spectacle mais une performance de haute voltige.

Que ma joie demeure est un hymne passionné à la musique en costume d'époque et déjante baraquée, une allégeance à la clé de sol farcie d'étincelles barrées deux plombes durant entre clavecin, orgues démembrés, viole de gambe et tirades démentes, avec un peu de lumière divine qui tombe jamais là où il faut (procurez-vous le DVD y a réplique culte en puissance). Entre deux leçons sur le rythme ou le contrepoint, le Bach d'Alexandre Astier compose une symphonie avec des miettes au fond d'un moule à cake, se torche sévère en pleine messe et malmène une vieille dans l'église (gloire à toi Alex), ou dresse la carte hilarante de la géographie musicale du monde sans s'encombrer de gants (rachetez un DVD, dix minutes de répliques cultes en rafale). Pour résumer, du Alexandre Astier pur jus qui met du cœur et un bon paquet d'âme à l'ouvrage, et nous offre encore un peu de son génie à l'œil, de la bonne barbaque bien saignante à s'enfiler dans le cortex afin de se garantir de l'envergure pour quelques nuits des temps.

That's all fucking folks...

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