Quelques traces de génie le long du voyage & des symphonies de Bach chargées à la déjante
Le dernier soir des
vacances commence à tomber timide et j'enquille encore un peu de
route pour terminer joli. Ceci après dix jours passés chez la
vieille reine à abîmer tout le côté gauche d'une Ford de location
qui l'avait de toute façon bien cherché avec son putain de volant à
droite. Une grosse semaine en V.O. sur les traces de la légende
arthurienne, de long en large sur la carte, plus ou moins à gauche,
de Tintagel en Calédonie, et me voici quelques jours plus tard sur
la route du Cap d'Agde pour assister au spectacle d'Alexandre Astier,
Que ma joie demeure, dont le DVD sort aujourd'hui même. Ça
s'appelle une boucle bien fermement bouclée au verrou de trois
tonnes.
Pourtant, c'était loin
d'être gagné. Comme souvent lorsque je déterre une pépite de
lumière vive qui va m'abreuver de chaleur inspirée pour un bon bout
de temps, je m'y suis pris comme un manche. Mon panthéon de maestros
est un gigantesque cimetière de corps déjà bien décomposés, et
si jamais les enfoirés font l'effort d'en mettre un dernier coup
au-delà de la date de péremption, j'arrive quand même trois
siècles après la bataille. J'ai découvert les Stones il y a à peu
près six mois, j'ai attendu que ça barde à Vilnius pour me
promettre d'aller voir un un concert de Noir Désir un de ces quatre,
et j'en ai d'autres en magasin. Des tas de trains que je ne prendrais
pas en route même s'ils fonçaient droit sur moi pour m'éparpiller
sur les rails. Non, j'attends plutôt qu'ils s'arrêtent au terminus
pour enfin monter dedans et fouiller dans les coins des nuits
entières.
Pas faute d'avoir été
rencardé avec une bonne surdose d'insistance, et la série allait me
plaire, et pile dans mon délire (j'apprenais alors que j'avais un...
délire, mince alors), et quelques poignées d'etc. Pourtant j'ai
découvert Kaamelott bien après la diffusion de la dernière saison
sur M6. Et encore, quand je m'y suis mis, c'est à peine grâce à un
concours de circonstances, une réplique chopée au hasard d'un
zapping frénétique lors d'une soirée à rien branler devant la
télé en plein chômage qui s'éternise. Une réplique comme un coup
d'Excalibur bien dans le mille, plein le buffet.
La suite logique : des
semaines à me farcir l'intégrale de la série avec la conviction de
plus en plus affirmée que le merdier avait été pensé pour moi et
moi seul. La télé n'avait jamais rien accouché de tel, on
déambulait hagard au milieu des Friends propres sur eux et des un
gars une fille en plein débat sur qui va faire la vaisselle dans la
cuisine bien rangée, et tout à coup une horde de chevaliers armurés
de déglingue débarquait là-dedans, cheveux longs cradingues et
dialogues au cordeau. Avec cette richesse d'écriture, même une
armée de Télétubbies aurait éventré les lignes adverses, à
coups d'anachronismes catapultés à feu nourri, de références
pointues, de prouesses d'acteurs, de vocabulaire réglé sur « à
donf », toutes ces choses qui arrachaient enfin le cerveau d'un
sommeil promis à durer.
Il m'a fallu un moment
pour croire qu'un seul homme était à l'origine du bordel. Et quand
j'ai pu y croire, j'ai d'abord ressenti une immense jalousie :
je venais de comprendre que je voulais faire Alexandre Astier comme
métier quand je réussirais à être plus grand, mais c'était déjà
pris. Et j'étais déjà pas mal vieux, de toute façon... Je voulais
parler comme lui, écrire comme lui, créer comme lui, râler comme
lui, me laisser pousser un bouc pas des masses symétrique comme lui
sans avoir l'air d'un con... et la seule raison pour laquelle je n'ai
pas tartiné ma chambre de posters, c'est que je n'ai pas eu la
capacité de Damien Saez à arrêter mon horloge biologique à
quatorze ans...
La jalousie n'a pas duré
très longtemps, plus je m'intéressais au personnage, plus j'avais
le sentiment d'avoir affaire à ce genre de frère d'armes qui monte
au front pour le compte de ses soldats moins doués à la bataille.
Je l'ai vu partout répéter clairement les pensées confuses qui
tournent sans cesse dans le brouillard en béton armé qui me sert de
tronche. Un Robin des Bois à la flingue facile qui disperse un peu
de son génie gratos à un besogneux du neurone qui voudrait bien
mais dépasse rarement le 110 sur l'autoroute du QI.
Un type capable de
s'indigner de la censure dont est victime Dieudonné sans se faire
secouer la quiche par toute la clique bien-pensante du pays, un
hussard de la cervelle gaillarde qui s'alarme de la pauvreté
culturelle des médias sans passer pour le casse-couilles lettré de
service, tout en étant capable de faire rire avec du Chrétien de
Troyes repassé à l'hystérie, de la physique quantique délurée
avec des citations de Blaise Pascal dedans, ou deux heures déchaînées
de théories musicales de Jean-Sé Bach, Que ma joie demeure...
Me voici donc début
octobre dans la salle du Palais des Congrès du Cap d'Agde, assis à
côté de trois pisseuses dans tous leurs états en voyant débarquer
Jean-Christhophe Hembert (le Karadoc de Kaamelott et metteur en scène
du spectacle). Deux heures plus tard, à la sortie, sous la nuit
encore tiède d'un reste d'été qui traîne un peu, la même
sensation d'avoir assisté à une nouvelle prouesse du grand génie
mainstream de Gaule. Après ce qui n'est pas un spectacle mais une
performance de haute voltige.
Que ma joie demeure
est un hymne passionné à la musique en costume d'époque et déjante
baraquée, une allégeance à la clé de sol farcie d'étincelles
barrées deux plombes durant entre clavecin, orgues démembrés,
viole de gambe et tirades démentes, avec un peu de lumière divine
qui tombe jamais là où il faut (procurez-vous le DVD y a réplique
culte en puissance). Entre deux leçons sur le rythme ou le
contrepoint, le Bach d'Alexandre Astier compose une symphonie avec
des miettes au fond d'un moule à cake, se torche sévère en pleine
messe et malmène une vieille dans l'église (gloire à toi Alex), ou
dresse la carte hilarante de la géographie musicale du monde sans
s'encombrer de gants (rachetez un DVD, dix minutes de répliques
cultes en rafale). Pour résumer, du Alexandre Astier pur jus qui met
du cœur et un bon paquet d'âme à l'ouvrage, et nous offre encore
un peu de son génie à l'œil, de la bonne barbaque bien saignante à
s'enfiler dans le cortex afin de se garantir de l'envergure pour
quelques nuits des temps.
That's all fucking folks...
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