Ruine et mélancolie dans l'expérience de séquelles imminentes & les papillons enfilent les gants...
Pour les rockers à la
peau pas trop tendre, l'affaire de l'année s'est tramée à la
combinarde quelque part à Paris, il y a quelques jours. Les Rolling Stones
et leurs 50 piges de carrière traînaient leurs tignasses passées à
la chaux (ou au Belle Color pour la vieille Jagger) dans les coins
huppés de la capitale depuis un peu trop longtemps pour croire à
une simple colo de vieillards friqués. Discrètes répets pour les quatre
concerts de Londres et New-York prévus à la fin de l'année ? Dernières retouches cousues main en vue de la sortie de la triple compil GRRR ? C'est
là que la rumeur a commencé à venir jaser, les papys se prépareraient à des séances de rodage dans les parages... Et la rumeur n'a
même pas eu le temps de finir sa phrase que des billets à quinze
euros pour un petit concert le soir même s'envolaient en un clin
d'œil sur les Elysées... Deux jours avant un show-case réservé à des
traders en vue quelque part dans un théâtre... Des traders de mes deux, sans blague. Et bordel j'ai assisté à ça de très très loin, tellement loin que j'ai appris toute l'affaire bien après que les Stones avaient déjà remballé tout le matos. Parce
que j'ai déconné à plein, me suis gouré sur toute la ligne... Oh
pas ces jours-ci, non, bien plus tôt que ça, dans les années 90.
Le siècle dernier.
Car en ce qui me
concerne, ce petit passage des Stones vécu après coup dans les
journaux, un bon litre de bave amère aux lèvres, constitue une
version du battement d'ailes du papillon pas mignonne du tout. Un
papillon à la mandale facile qui te cloue au mur en faisant 37 fois le tour de la Terre pour t'en mettre une
bonne raclée avec ce qu'il faut d'élan. Jusqu'ici je n'avais pas vraiment pris conscience que la teigne ingérable qui me servait de version ado reviendrait tôt ou tard me rendre la monnaie, il a suffi de rater le concert de trop...
Le foutu papillon s'est pointé armé jusqu'aux dents et tous les
crans de sûreté relevés. Sans aucune intention d'avoir fait le
voyage pour des prunes.
Apprenez ceci : il y
a un moyen moins risqué que la mort imminente pour voir sa vie
défiler, il y aussi louper la probable dernière occasion de voir le
plus grand groupe rock du monde sur scène. J'ai revu passer pas mal
de trucs dérangeants en 16:9 et compris que j'avais déjà raté ces
presque derniers concerts des Stones alors que j'étais encore au
lycée. Comment aurais-je pu prétendre à la fonction de trader en
ayant laissé derrière moi un cimetière de professeurs d'économie
en état de catatonie désespérée après m'avoir eu comme élève ?
Des cours entiers à faire absolument tout ce qu'il était possible
de faire en classe, sauf ce pour quoi j'étais là, et à me fermer
une à une toutes les portes obscènes de la porcherie de la finance.
Mais de toute façon putain à ce moment-là les Stones n'étaient
pour moi qu'une confrérie de grands-mères réduites en poussières
par la bande à Kurt, et la Telecaster de Keith une planche en bois
tartinée de naphtaline par Slash... Pour ce que ça aurait changé...
Et quand bien même, il aurait fallu avoir les cheveux courts et
surtout pas cette gueule de portos ravalée à la truelle turque.
Par chance, il n'était
pas forcément obligatoire d'être devenu une dégueulasserie gominée
à costard chez Natixis ou ailleurs pour défoncer quelques bonnes
portes, non, il y avait aussi la possibilité d'être journaliste
avec un carnet d'adresses long comme une tirade puante de Zemmour...
Journaliste, précisément ce que je pensais vouloir devenir quand
j'étais plus jeune... Alors quoi ?
Alors ? Il se trouve
que j'avais décidé de rien branler à l'école, au collège, au
lycée... C'est aussi simple que ça, et surtout je pensais qu'il
suffisait de savoir écrire un peu droit pour avoir le droit de
bafouiller dans un magazine. Un conseiller d'orientation m'avait
remis sur le droit chemin un jour, « restez sérieux l'avenir
ce sont les emplois administratifs, pour vous c'est le BEP compta ou
la porte ». Alors j'ai fait compta pour pas devenir punk à
chien une fois dehors parce que bon imaginez-moi avec une crête, ça
n'a pas de sens. Certains profs vantaient mes qualités d'écriture,
le journalisme restait donc bien un truc gravé sur les tables
cradingues du destin. Un peu le genre de destin qui te fait
comprendre pourquoi ce n'est qu'une sinistre couillonnade, le destin.
Et c'est avec le vague à
l'âme que je reçois cette gifle aujourd'hui, perdu dans mon trou du
cul du sud de la France. A quel point les choses auraient-elles été
différentes si j'avais pris la peine d'ouvrir mes livres de cours ?
Aurais-je eu les dents assez trempées dans l'acier pour faire entrer
ma carne de bouseux dans une grande école de rupins de père en
fils ? M'aurait-on filé les clés du paradis juste avec
quelques bonnes notes dans mon cartable ? Aurais-je été plus
doué de la plume avec le bon diplôme dans le dossier ? J'en
sais rien putain et la vague idée de la réponse me file une ruche
entière de bourdons qui vont me canarder à mort si je n'arrête pas
tout de suite.
Je me souviens d'un vieux
cadre artisanal sur le mur de ma chambre lorsque j'étais tout gosse.
Ça parlait de la signification de mon prénom, et une phrase disait
« les Thierry suivent une route toute tracée ». Ça
disait vrai, sauf que j'ai voulu prendre un raccourci pour arriver
plus vite et me suis retrouvé dans un cul-de-sac à des milliers de
bornes de là... A la merci des papillons qui viendraient bien assez
tôt venger l'Education Nationale...
Les bestioles voraces ont
cependant épargné un bout de tympan et je peux aujourd'hui écouter
en boucle ce qui sera sans doute le dernier titre enregistré par les
Stones avant qu'ils aillent se faire désintégrer en pleine terre.
Doom and Gloom, ruine et mélancolie, un clin d'œil sans
pitié comme la dernière pierre massive posée au sommet du tas de
décombres qui se traîne derrière moi. Mais qui sait, avec du bon
ciment je serais encore bien capable d'en faire quelque chose, de
toute cette caillasse... un vieux contentieux à régler avec le
destin.
That's all fucking folks...
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