11.12.12

RUINE ET PUANTEUR A SYDNEY

Chronique sauvage & déglinguée d'une mauvaise farce maya

 

- PREMIERE PARTIE -


Des soubresauts de fin du monde à la sauce maya de mes deux commencent à se la dégourdir et si l'on peut se fier à ces premières vagues timides d'apocalypse, la grande partouze du 21 décembre s'annonce plutôt douloureuse. Il n'y aura bien entendu aucun risque pour nos vies, qu'on se rassure, mais quand on se réveillera le 22, finalement épargnés, on ne mettra pas longtemps à regretter de faire partie de la distribution, et le générique de fin promet de défiler lentement. L'aiguille à séisme vient donc de se mettre à convulser, et ça se passe logiquement à Sydney. La première ville qui nous fout la démesure de son feu d'artifice de Nouvel An sous le nez, chaque année, se devait de servir le hors-d'œuvre de la fin du monde programmée.

Jusqu'ici, cette histoire à la Paco Rabanne rongé de l'intérieur par des bestioles raëliennes enragées n'était pour moi qu'une diversion imaginée de toutes pièces dans une salle de conférence pleine de maîtres du monde en costard bien repassé, une tentative grossière de faire croire à sept milliards de naïfs avérés que si la Terre se déglingue dans un semblant de cataclysme, c'est parce qu'une bande de péruviens probablement déchirés au peyotl l'aura écrit quelque part. Et c'est tellement gros qu'on va tous jeter des coups d'œil paniqués vers le ciel toute la journée du 21, et vous allez bien me faire marrer. Mais qui a prétendu que le merdier débarquerait de là-haut, d'abord ? On oublie trop vite que le truc doit incuber dans un foyer de carences en neurones depuis la privatisation de TF1, c'est en tout cas plus probable dit comme ça.

Pour ma part, j'avais complètement oublié qu'il allait se passer quelque chose le 21 décembre prochain, en grande partie parce qu'il suffit de se baisser pour ramasser des fins du monde en veux-tu en voilà. Les cheptels à gros cul qui se trémoussent en appelant ça Zumba pour éviter de dire « régime de la dernière chance en écoutant des groupes cubains à 110 BPM », ça avait déjà comme un parfum de déclin sévère à mes narines. Alors qu'on vienne me demander de rajouter un truc sur la liste déjà longue des machins qui se barrent en couille, en me disant que c'est prévu depuis des siècles (mais qu'on vient de s'en rendre compte, comme de juste), j'ai dit oui poliment pour qu'on me foute la paix. Et direction poubelle.

Bien sûr j'attends avec impatience la date fatidique pour m'offrir une bonne séance de voyeurisme au beau milieu du troupeau. C'est qu'il va falloir se les coltiner les grands pontes de la théorie facile, les professeurs en tout genre qui vont traquer la moindre petite bête sans relâche pendant 24 heures et venir nous expliquer en quoi le monde a bel et bien changé du tout au tout. Ils seront nombreux, une armée nourrie de stress intense qui n'est pas prête à accepter qu'une vieille prophétie puisse être un tissu d'âneries sans précédent, et qui n'a même pas envisagé qu'aujourd'hui on peut tout à fait fabriquer de fausses tables de la loi avec une bonne connaissance de Photoshop et quelques rudiments de géologie pour choisir la bonne caillasse qui ferait vintage.

Ce qui est fascinant dans tout ça, mais aussi foutrement désespérant, c'est la virtuosité avec laquelle on nous agite de toujours plus grossières marionnettes sous le nez pour nous faire regarder ailleurs pendant que la clique aux manettes pille tout ce qu'il y a piller. Et ça marche comme sur des roulettes bien huilées avec contrôle technique à jour. Des spots de pubs commencent même à nous dire de lâcher la thune pendant qu'il en est encore temps, sans déconner. Suffit de présenter le festin et on avale tout comme des goinfres inoculés au Creutzfeldt-Jakob avant d'aller dégobiller nos tripes les uns sur les autres. Nous resterons dans l'histoire comme une génération d'oies gavées et regavées et qui en redemandent tant qu'il y en a dans l'assiette (tout en écoutant Tryo ou l'autre espingouine de contrebande de Chao comme la dose d'aspartame nécessaire pour avoir la conscience tranquille).

Il me semblait important d'essayer de vous ouvrir les yeux pendant trois plombes avant de vous annoncer que j'ai faux sur toute la ligne. Zéro pointé, note éliminatoire. Le monde va bel et bien muter aux alentours du 21.

Ça démarre donc à Sydney parce qu'il fait beau à cette époque de l'année là-bas, et un scénario catastrophe débute toujours par de belles images paisibles, c'est comme ça que ça marche. Ça dégénère en général assez vite... L'épicentre de la fin du monde a choisi d'aller crécher dans les studios de la radio 2Day FM, et la première vague du tsunami n'a mis que quelques jours pour atteindre l'Angleterre.

Bien avant ça, une rumeur enflait doucement dans le Royaume. Kate Middleton, épouse du Prince William et duchesse de je ne sais plus trop quoi, se serait faite engrosser par l'autre premier de la classe et son curriculum à rendre suicidaire un indiscipliné carabiné comme moi. Et ça a commencé à faire un barouf de dingue chez Mamie Babeth, sans que je comprenne trop pourquoi... Le Prince aurait juté c'est ça ? Une éjac faciale qui serait partie de traviole ? Rien de grave pourtant, ils se sont mariés merde, ils peuvent bien se mettre ce qu'ils veulent dans le cul tant que ça leur chante, ils le font désormais dans les règles dictées par l'autre vieille pétasse de Dieu. Quoi qu'il en soit ça mettait tout le monde sens dessus dessous. Enfin depuis mon séjour récent chez eux, j'ai bien compris que les Anglais étaient une bande de détraqués notoires, inutile d'attendre quelque chose un brin sensé de leur part. Ces gens-là roulent à gauche sur des routes à une voie ET à double sens, faudrait pas l'oublier.

Comme si ça ne suffisait déjà pas, la rumeur s'est offert une petite séance de gonflette avec l'admission de Kate Middleton au King Edward VII hospital de Londres, et la nouvelle s'est bien évidemment propagée jusqu'en Australie, cet appendice bâtard du Royaume jeté le plus loin possible des côtes britanniques. Personne ne l'a remarqué alors, mais la fin du monde, c'est à ce moment précis qu'elle a commencé à germer. Pour être tout à fait exact, on va constater qu'elle germait depuis déjà bien longtemps, disons qu'elle a commencé à mettre en branle sa pourriture de fruit.

Quand les choses deviennent sérieuses, la miséricorde trinque mais quelque chose de rudasse. Plus de pitié qui tienne. Et nous y sommes, juste après la frontière du non-retour, un jour de début décembre dans les studios de 2Day FM, une radio de Sydney qui n'est peut-être que la radio locale de Palavas-les-Flots du coin. Deux animateurs attendent le rouge antenne en enfilant leur costume de jeune hilarant. C'est que ces deux-là ressemblent trait pour trait à toute cette nouvelle race de chroniqueurs abêtis jusqu'à la corde qui pullulent dans les émissions télé, et dont la seule aptitude consiste à parler à toute berzingue pour ne pas laisser le temps à quiconque de mesurer l'étendue de la casse vasculo-cérébrale. Il suffit de regarder leur trogne ci-dessus pour les voir suinter le Yann Barthes.

Et qui dit chroniqueurs dit équipe de chroniqueurs et dit aussi tout un tas de faire-valoir rémunérés à la pige dans les coulisses. Et quand on met autant de « degrés zéro » dans une même pièce on obtient un zéro aussi vaste qu'un cratère lunaire. Comme toujours quand on permet aux glands finis de l'ouvrir, ils tirent d'abord et ne se posent pas de questions ensuite. C'est exactement ce qui s'est passé ce matin-là. Une idée creuse surgissant des vannes faciles sur les blondes et des gloussements ininterrompus de rigueur dans ce milieu. L'arme ultime de l'animateur payé à sourire et à faire rire des gens payés pour ça : la blague potache qu'un gosse de six mois pourrait faire, non sans déguiser la chose comme une pure manifestation de génie. Kate Middleton est à l'hosto, LOL, on n'a qu'à appeler l'hosto t'imagines si quelqu'un répond le délire de sa mère la race de sa grand-mère MDR. Fin de citation.

Ils ont donc appelé l'hôpital en se faisant passer pour quelque ruine incontinente de la couronne, et une infirmière certainement émue d'avoir la famille royale au bout du fil n'a pas eu la présence d'esprit de filtrer. Le barrage passé, on leur a donné des nouvelles de la duchesse sans se méfier plus que ça. Enfin quand je parle de nouvelles c'est un bien grand mot : « elle va bien ». Tu parles d'un scoop, il ne faut pas oublier qu'il n'y a que deux options lorsqu'on appelle une structure médicale pour s'enquérir de la santé d'un proche : « le patient va bien » ou « il va falloir être fort ». Mais qu'importe, le truc a fait le putain de buzz de merde et voici une pisseuse et un simplet catapultés au firmament de la célébrité en deux secondes. Comme beaucoup d'autres extraordinairement niais de leur trempe avant eux.

Le buzz, le sacro-malsain du nom, et un sacré coup de pub pour cette radio à la con. Buzz et Pub, les deux fondements du siècle, du monde... Et vas-y qu'on diffuse en boucle le fameux canular pour bien montrer qu'on sait se servir d'un téléphone en dépit de notre handicap mental, qu'on fait monter la sauce jusqu'à ce qu'elle nous sorte par les trous de nez en mousse épaisse coupée à la bave de charogne. Parce que ça n'avait l'air de rien, on avait conquis le monde avec deux demeurés à la coule pour pas très cher, c'est un jeu auquel tout le monde joue tout le temps, c'était notre tour de tomber sur le numéro gagnant.


LIBERATION – 7 décembre 2012



L'infirmière victime d'un canular sur Kate Middleton est décédée


Elle a été retrouvée sans vie dans un local proche de l'hôpital. Le lien avec le canular n'est pas établi...


À suivre...

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