I want to be a part of it - New York, New York
Morning 1
Je m'étais pieuté assez
tôt la veille, sans être bien sûr d'avoir avalé quoi que ce soit
depuis le biscuit sous vide et le jus d'orange (visiblement de
contrebande) qu'on m'avait filés une heure avant l'atterrissage de
l'avion. A vrai dire, ça s'appelait pas vraiment se pieuter, non, du
tout, j'étais seulement en train de consulter des brochures, des
plans du bled, histoire de me faire une idée de ma promenade du
lendemain, lorsque je me mis à cligner des yeux tellement fort qu'à
un moment les paupières n'ont pas réussi à remonter pendant sept
plombes. Ou quand Saturday Night Fever rencontre la camomille.
C'est donc à 4 heures
de mon premier matin new yorkais, à deux pas de Broadway, que je
m'offris un premier spectacle, avec pour seul light show la lueur
blafarde d'une vieille lampe de chevet style « ma grand-mère
aurait eu la même si elle avait eu les goûts de sa grand-mère »
et pour seul décor un mur de briques rouges par la fenêtre. Le
spectacle de ma petite personne à moitié dessapée, les cheveux
encore plus en vrac que d'habitude, complètement frigorifiée par la
clim. Un Bardamu dépareillé dans les ténèbres délirantes d'une
nuit qui se préparait à mettre les bouts.
Et cette ville qui
t'appelle sans arrêt, à croire que chaque building est un minaret
grouillant de muezzins munis de l'appli Google Translate pour être
sûrs de ne rater personne à dix miles à la ronde. Et ça marche, à
peine le temps d'embarquer une Camel et j'étais en train de
descendre 10 étages.
4h du mat un dimanche
dans les rues de New York. La première leçon que j'en ai tiré,
c'est que si cette ville ne dort jamais comme le prétend l'adage, il
lui arrive par contre de se tirer en RTT certains week-ends. La nuit
pâlissait doucement alors que je me baladais sur la 33ème jusqu'au
pied de l'Empire State Building, en ne croisant en tout et pour tout
qu'un vieil afro pensif chargé de nettoyer le trottoir. La grosse
pomme était ce matin-là un fond de compote qui sentait le
détergent. Je remontai à la chambre récupérer ma copilote et de
quoi survivre pour la journée, quelques dollars, des pennies, des
dimes, des quarters, un putain de paradis du numismate ce coin. Le
cauchemar du réfractaire à tout semblant de méthodologie. Pour
m'en sortir, j'allais devoir devenir la vieille qu'on croise à la
caisse de la supérette, la vieille qui confie son porte-monnaie à
la caissière pour lui laisser le soin de récupérer le montant de
la note.
Le jour se levait timide
et gris, mais à part un bagagiste d'un quintal faisant les cent pas
devant l'entrée de l'hôtel, avec au moins trois fois son poids en
valises autour de lui, aucun signe de vie au cœur même de Manhattan
en ce dimanche matin frileux de juin. Je décidai de me diriger tout
doucement vers Central Park en suivant la 7ème avenue puis Broadway
à partir de la 42ème rue. A cette heure, on pouvait marcher sur le
bitume défoncé de l'avenue sans risquer sa vie, sans même imaginer
qu'une bagnole pouvait essayer de vouloir passer. Un agent de la NYPD
me regardait prendre deux trois photos comme un gland au milieu de la
rue, mais le type s'est résigné à attendre patiemment que je fasse
preuve de bon sens. Je ne devais pas être le premier détraqué à
défiler devant lui, et ses yeux semblaient dire « encore un
type des forêts qui se croit dans la rue Victor Hugo de son bled à
la con, j'te foutrais un yellow cab lancé à tombeau ouvert
là-dedans, moi ».
Marcher en plein cœur de
Times Square un dimanche matin, c'est visiter le vrai New York, c'est
marcher dans une vraie ville et pas une galerie marchande à
étrangers qui cherchent à jeter leur trop plein de pognon. C'est
pouvoir s'arrêter cinq minutes devant le Ed Sullivan Theater juste
pour se dire « c'est là dedans que David Letterman me fait
marrer putain ». C'est croiser un mannequin asiatique matinal
Armanisé de haut en bas qui se fait tirer le portrait en plein
milieu de la rue (oui comme moi, mais payé pour, là). C'est
longuement s'émerveiller sur des affiches de spectacles de Broadway
dont on se cogne copieusement mais Kerouac a fait pareil alors c'est
toléré. Et surtout, c'est commencer à se dire que dans ce pays,
tout va être possible, tout va pouvoir arriver, tout va dépasser
l'entendement.
Autant le dire tout de
suite, l'entendement a volé en éclats quand le hasard m'a conduit à
prendre un petit dej au Roxy Deli. Franchement, sur la carte, un oeuf
et une saucisse ça avait l'air raisonnable, alors quand j'ai vu une
assiette de la taille du Delaware débarquer sur la table et noyée
sous un wagon de bouffe... J'ai fait comme d'hab en fait : oh c'est
parfait, pile ce que j'attendais (le tout dans la langue, c'est à
dire « OK, huuum.... OK », à un ou deux « u »
près). Par chance, j'avais assez de crocs pour régler l'affaire en
cinq minutes, récurage de l'assiette jusqu'à la dernière miette
compris.
En remontant Broadway
jusqu'à Central Park, je me suis aperçu que quelque chose clochait.
Des filles bronzées en short court moulant et dépourvues de la
moindre parcelle de graisse surgissaient de plus en plus nombreuses
et semblaient converger vers Columbus Circle et l'entrée du Park. La
plupart portaient des dossards numérotés, à l'effigie du drapeau
portugais. Encore des portos qui n'ont pas pu s'empêcher de créer
une association de portugais qui ne veulent surtout pas avoir à y
refoutre les pieds, au Portugal, me dis-je. Rien d'inconnu. Sauf que
ces filles ressemblaient trait pour trait à la jeune yankee qui
s'entretient telle qu'ont me l'avait dépeinte pendant trente ans de
films romantiques se déroulant à Central Park. Et aucune d'elles ne
se prénommait genre Luzia, j'en fais le pari.
Me voilà donc débarquant
dans ce petit square sympa de 340 hectares en plein départ d'une
course de fond à travers le parc... Ça courait partout, des cuisses
fermes sorties tout droit de la double page centrale de Fitness Mag,
des lecteurs MP3 fuchsia en veux-tu en voilà, des visages ravis de
puer la sueur, toute la panoplie de l'effort physique consentant,
quoi. Une secte effrayante vouée toute entière au culte de la
douleur musculaire et de la carotide à 450. Et sur les bancs, dans
les buissons, dans les recoins, des clochards crasseux pioncent sans
prêter attention au cirque. Les athlètes en sportswear de marque
eux non plus ne se rendaient pas compte qu'ils enjambaient des clodos
ici et là. C'était fascinant, pour un français comme moi, élevé
comme tous ses compatriotes à bien mettre le nez dans le cul des
autres. Il y avait là deux Amériques et chacune était une
dimension paranormale pour l'autre. On pouvait sentir une frontière
presque physique, un mur imprenable. Le plus choquant, c'est qu'il se
dégageaient de tout ça comme une sensation d'harmonie. Mais une
harmonie brutale, dure, impitoyable. Triste.
En quittant Central Park
à la fin de la matinée, enfin en essayant de me frayer un chemin au
milieu de 5000 gendres idéaux en plein trip de pulsation cardiaque,
il ne m'a pas fallu longtemps pour m'apercevoir que les gigantesques
boutiques de souvenirs avaient levé le rideau. Et dans ces endroits
ça ne loupe jamais, je deviens un pigeon qui va chercher du côté
de l'état second, je fais vingt fois le tour en ramassant tout ce
qui passe à ma portée. Et putain qu'est-ce que j'imaginais foutre
de cette balle de base-ball à 18 dollars, un sport qui me monte les
nerfs en neige au moins autant que le théorème de Thalès.
à suivre...
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